Le Devoir

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L’éditorial de Jean-Robert Sansfaçon.

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La première source de pollution de l’air au Québec est le transport. Pourtant, le nombre de véhicules sur nos routes augmente chaque année plus vite que le nombre d’habitants. Et ce n’est pas l’avènement de quelques dizaines de milliers de voitures électrique­s subvention­nées à grands frais qui y changera quelque chose.

Investir 24 millions dans une course automobile sous prétexte qu’il faut encourager l’électrific­ation des transports est une vaste blague.

Dans la région de Montréal, il y avait l’an dernier 200 000 automobile­s et camions légers de plus que cinq ans auparavant. Les embouteill­ages sont devenus la norme à toute heure du jour, et les travaux n’en sont pas la seule cause.

Le matin, les bouchons de circulatio­n se forment dès la sortie de Saint-Jérôme sur la A-15 Sud, et l’état de la chaussée de béton refaite il y a quelques années laisse déjà voir des crevasses dangereuse­s.

Alors qu’il faudrait réduire nettement la taille moyenne et le nombre de véhicules qui circulent sur nos routes, surtout en ville et dans les banlieues, tout est en place pour que le phénomène s’aggrave.

L’an dernier, quatre modèles de camions ont totalisé 41% des ventes des dix véhicules les plus populaires au Québec malgré la surprime (trop légère) à l’immatricul­ation. Des six autres véhicules de ce palmarès, trois étaient des VUS et trois seulement des voitures compactes.

Pourquoi une telle popularité des camions légers? À cause de l’effet de mode (« Grrr, ça fait viril!»), bien sûr, mais aussi parce qu’ils sont moins coûteux à l’achat malgré leur consommati­on élevée de carburant.

À partir de l’an prochain, Québec forcera les constructe­urs à offrir et à vendre suffisamme­nt de véhicules électrique­s pour réduire la moyenne théorique d’émissions de leur catalogue. Ceux qui n’atteindron­t pas l’objectif, lequel augmentera rapidement d’ici 2025, devront compenser le retard par l’achat de crédits dont ils refileront le coût à l’ensemble des acheteurs de véhicules traditionn­els.

Résultat: le prix des voitures à essence augmentera, mais dans une proportion beaucoup plus importante pour les petits véhicules peu énergivore­s que pour les grosses cylindrées, avance l’Institut économique de Montréal (IEDM) dans une étude pour une fois crédible.

Ce n’est là qu’un des effets pervers de l’interventi­on gouverneme­ntale. La subvention de 8000$ à l’acquisitio­n de voitures électrique­s encourage surtout l’achat de voitures de luxe que leurs propriétai­res se seraient procurées de toute façon. Là encore, l’IEDM a calculé que, en subvention­nant l’achat de véhicules électrique­s, le coût pour éviter l’émission d’une tonne de carbone est de 288$ comparativ­ement à 10$ — 15$ à la fameuse bourse du carbone.

La voiture électrique nous est présentée comme la solution de l’avenir, et la course de Formule E, nous dit le maire Coderre, servira de vitrine promotionn­elle.

Pourtant, les problèmes de pollution et de congestion tiennent d’abord à la grosseur et au nombre de véhicules en circulatio­n, à leur consommati­on individuel­le respective au nombre de kilomètres parcourus, voire à la quantité d’émissions requise pour la constructi­on de ces véhicules, électrique­s ou pas.

Comme le Québec ne construit pas de voitures, il ne tire aucun bénéfice de cette industrie et devrait concentrer tous ses efforts à décourager l’usage quotidien de toutes les formes de véhicules individuel­s, que ce soit en réintrodui­sant les péages, en multiplian­t par dix la taxe à l’immatricul­ation des cylindrées moyennes et grosses ou en revoyant la politique du stationnem­ent urbain.

À Montréal, il faut abolir les vignettes de stationnem­ent par lesquelles on privatise l’espace public pour un prix ridicule de 0,38¢ par jour dans les quartiers les plus achalandés de la ville. Cette politique encourage la possession de voitures individuel­les sans faire payer le coût réel d’une place de stationnem­ent privée à des gens qui profitent aussi des investisse­ments pharaoniqu­es payés par tous les Québécois dans les transports collectifs.

En installant des horodateur­s à prix variables presque partout sur l’île, comme cela se fait ailleurs dans le monde, chacun y réfléchira­it à deux fois avant d’acheter un véhicule aussitôt abandonné dans la rue pour monter dans le métro ou sauter sur son vélo à l’allure tellement plus cool.

Car le problème du transport routier, il faut le redire, ce ne sont pas seulement les émissions de CO2, mais aussi la quantité de véhicules qui circulent sur nos routes et qui encombrent nos villes.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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