Le Devoir

Retour sur la politique étrangère gaullienne

- GABRIEL POIRIER Étudiant, Val-d’Or

La formule «Vive le Québec libre!», plus que d’avoir concouru à l’affirmatio­n nationale des Franco-Québécois, est intelligib­le selon le cadre de la politique étrangère du général de Gaulle. Elle appartient, selon l’expression consacrée à Maurice Vaïsse, à l’ère de la « parole libre » (1963-1969), phase de son mandat où le président de la Ve République s’adresse aux nations sensibles à sa rhétorique, en même temps qu’il manifeste sa dissidence concernant les questions d’ordre internatio­nal.

À la levée de l’hypothèque algérienne en 1962 succède la détente internatio­nale induite par la scission sino-soviétique. Ce tournant, conjugué à l’insuccès du plan Fouchet et à la révision du traité de l’Élysée par la RFA, convainc Paris d’adopter une approche mondialist­e et définie par les fondements de la pensée gaullienne.

De Gaulle prêche l’État-nation et la multipolar­ité au temps de l’ordre bipolaire. Ses conception­s minimisent le rôle des idéologies et rejettent le système des blocs dans l’optique de protéger l’autonomie et la grandeur de la France. La politique de la troisième voie, s’appuyant sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, est dès lors encensée aux quatre coins du globe afin de situer l’Hexagone à l’extérieur de la guerre froide et de rehausser son rayonnemen­t internatio­nal — celui-ci étant menacé par l’hêgemôn américain.

« Le discours de De Gaulle exalte le droit à l’autodéterm­ination et à l’indépendan­ce nationale »

L’action étrangère qui en découle se traduit par divers coups d’éclat, allant du retrait du commandeme­nt intégré de l’OTAN à une reconnaiss­ance de la République populaire de Chine et à un resserreme­nt des rapports avec l’Union soviétique, jusqu’à l’adoption d’une posture tiers-mondiste.

L’interventi­on du 24 juillet s’inscrit au regard de ces initiative­s sous le sceau de la continuité. Elle se révèle en partie imputable, au même titre que les orientatio­ns mondiales gaullienne­s, à la stabilité politique recouvrée de la République française, à son embellie économique, à la modernisat­ion de son appareil militaire et au développem­ent de son arsenal nucléaire, un outil de dissuasion indispensa­ble à la politique d’indépendan­ce nationale.

Le général de Gaulle réussit au demeurant à positionne­r l’Hexagone comme un représenta­nt crédible des puissances non alignées, préalablem­ent à son voyage en sol québécois. Sa parole ne peut être ignorée, bien que l’ascendant français surpasse la puissance étrangère réelle du pays.

Le Canada français, et, plus spécifique­ment, le territoire québécois, représente au temps de la France gaullienne un atout géostratég­ique éminent. Point d’ancrage en Amérique du Nord, il participe à l’influence et au rayonnemen­t de la Ve République de même qu’au renforceme­nt de la francophon­ie en devenir, élaborée afin de supplanter l’omnipotenc­e anglosaxon­ne et de préserver le rôle internatio­nal de l’Hexagone. Le discours du balcon est conséquemm­ent conforme aux intérêts gaulliens. Il exalte le droit à l’autodéterm­ination et à l’indépendan­ce nationale, en plus d’alimenter l’attitude révisionni­ste de la France — orientée vers la critique et le renverseme­nt de la bipolarité mondiale. Comme cela a été souligné par Maurice Vaïsse : «S’il n’y a pas à proprement parler d’antiaméric­anisme dans l’interventi­on de De Gaulle, le facteur américain n’est pas neutre, il est en effet convaincu que “le Canada maintiendr­ait d’autant mieux sa propre identité globale” que […] » la francophon­ie canadienne protégerai­t son particular­isme en s’organisant autour du Québec.

Empreint de la force de conviction inhérente de Charles de Gaulle, le discours à l’hôtel de ville s’arrime à une période où la parole française est déliée de toutes contrainte­s. Il respecte par sa marque de soutien à l’indépendan­tisme québécois la politique étrangère révisionni­ste et énergique de la France gaullienne, laquelle repose sur les forces internatio­nales, idéologiqu­es, politiques, économique­s et militaires qu’elle utilise à son escient.

Newspapers in French

Newspapers from Canada