Un meurtre abject
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a pris la seule décision qui s’imposait à la suite de la mort révoltante d’un enfant à naître, poignardé dans le ventre de sa mère. La Couronne a inculpé le père, Sofiane Ghazi, du meurtre prémédité du poupon et de six autres accusations, dont celles de tentative de meurtre et de menace de mort sur son épouse, Raja Ghazi, survivante de cette attaque sauvage perpétrée au domicile du couple, à Montréal-Nord. D’aucuns craignent une relance du débat sur le statut juridique du foetus dans cette affaire. La procureure en chef adjointe en matière de violence conjugale au DPCP, Anne Aubé, a fait un travail honorable pour communiquer au public les grandes lignes de son raisonnement juridique.
L’article 223 du Code criminel ne souffre d’aucun flou: «commet un homicide quiconque cause à un enfant, avant ou pendant sa naissance, des blessures qui entraînent sa mort après qu’il est devenu un être humain». Et l’enfant devient un être humain, au sens de la loi, lorsqu’il est « complètement sorti, vivant, du sein de sa mère». Qu’il ait respiré ou non, qu’il ait une circulation indépendante ou non, que le cordon ombilical soit coupé ou non n’y change rien. Si les médecins ont constaté la naissance de cet enfant martyr, il s’est affranchi de son statut de foetus pour devenir un être humain à part entière.
Il s’agit d’un cas unique, raison pour laquelle il suscite autant de questionnements. Il n’y a pas de cause comparable à celle de Sofiane Ghazi dans la jurisprudence. Les rares cas similaires relèvent de l’infanticide, qui est prohibé par une tout autre disposition du Code criminel.
L’accusation de meurtre prémédité est justifiée dans les circonstances. La cause de Sofiane Ghazi, présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, ne débouchera pas sur une remise en question, même indirecte, du droit à l’avortement pour les femmes. Le foetus n’a aucun statut légal en vertu du Code criminel, et il n’en gagnera pas un à l’issue de cette affaire sordide.
Une autre réflexion s’impose dans cette histoire, sur l’intervention policière en matière de violence conjugale. La police de Montréal s’est rendue à répétition au domicile des Ghazi, y compris quelques heures avant le drame. Raja Ghazi n’a pas voulu quitter les lieux, malgré les avis contraires des policiers. Pourquoi le mari dément et dangereux n’a-t-il pas été arrêté? La même histoire se répète d’un drame familial à un autre. La scène de crime prend forme sous l’oeil des proches et des policiers, sans qu’ils puissent infléchir le cours tragique du destin. Il y a lieu de revoir les façons de faire.