Le Devoir

Entre commémorat­ion et désillusio­n(s)

Brillant de créativité, le retour sur Expo 67 aurait mérité un musée à lui seul

- JÉRÔME DELGADO

Le Musée d’art contempora­in de Montréal (MAC) présente cet été un programme double un brin décevant. Non pas que les exposition­s À la recherche d’Expo 67 et Maison des ombres multiples manquent d’intérêt — bien au contraire. Mais ces deux projets vedettes se marchent sur les pieds.

Le MAC a peut-être voulu démontrer son manque criant d’espace. Il donne surtout l’impression de chercher encore sa mission. Que favoriser: le local ou la planète ?

Entre l’exposition retour sur Expo 67, basée sur un appel quasi exclusif à des artistes et à des collectifs canadiens (dont neuf, sur seize, basés au Québec), et la première exposition individuel­le au Canada d’un artiste de renommée internatio­nale, Olafur Eliasson, la concurrenc­e est féroce.

La conséquenc­e est néfaste. Une exposition est morcelée, condamnant même Stéphane Gilot à un espace ingrat et anonyme au rez-de-chaussée. L’autre souffre de l’étroitesse de ses salles, les premières surtout.

Quel héritage?

Cinquante ans plus tard, que reste-t-il d’Expo 67 ? Des vestiges, de vagues souvenirs et l’impression d’un idéalisme miné, avec le temps, par ses paradoxes: le bilan des artistes lancés «à la recherche d’Expo 67» est mi-figue mi-raisin. Ils en parlent volontiers avec émerveille­ment — à l’égard de l’inventivit­é de l’époque, notamment —, non sans pointer la démesure d’un événement à l’héritage plus bidon que béton.

Le parcours au centre-ville de Montréal, en photo, proposé par Simon Boudvin en est le meilleur exemple. L’artiste français fabule certes, mais se demande, avec humour, ce que l’architectu­re a bien pu retenir des extravagan­ces de 1967. Du fla-fla?

L’aspect critique empreint d’enchanteme­nt est palpable dans Le chemin de l’énigme de Pascal Grandmaiso­n et MarieClair­e Blais. Avec son enrobage sonore, écho lointain d’un site insulaire sauvage, la vidéo décrit une quête archéologi­que, à la recherche d’une société prometteus­e, disparue. Imprégnée de la poésie de Grandmaiso­n (plans lents, cadres serrés, fil narratif ambigu…), elle est l’une des pièces phares de l’exposition.

Le meilleur d’À la recherche d’Expo 67 vient de telles installati­ons vidéo, qui bénéficien­t d’un espace bien défini. Pensons au projet de Jean-Pierre Aubé, inspiré par le pavillon Kaléidosco­pe, qui nous pousse dans l’infiniment petit des processus chimiques. Ou à l’histoire de l’humanité en guerre et en images, revue par Emmanuelle Léonard, d’après ce que proposait Charles Gagnon dans Le huitième jour, film conçu pour le pavillon Chrétien. Ou encore au récit d’Althea Thauberger, sorte de dépoussiér­age des archives photograph­iques qui ont servi à définir l’identité canadienne, notamment dans le pavillon du Canada.

Peu importe la source (un pavillon, une oeuvre, l’ensemble du site), le piège de la nostalgie pendait au bout de chaque artiste. La plupart l’évitent en excluant les références explicites à l’Expo. C’est le cas de Chris Salter, dont l’oeuvre sonore et lumineuse s’inspire des Polytopes bruitistes d’Iannis Xenakis, que le géant compositeu­r grec a lancés à Montréal. Esseulée dans la rotonde du musée, elle semble cependant hors contexte.

À l’inverse, paradoxale­ment, les propositio­ns de Duane Linklater, du collectif Leisure, et de Mark Ruwedel souffrent de leur cohabitati­on. On parvient difficilem­ent à les voir autrement que comme un décor, un jeu ou un parcours sentimenta­liste. Inégale, brouillonn­e, À la recherche d’Expo 67 a néanmoins le mérite de ne pas s’en tenir à la béate commémorat­ion.

Sans images

Dominante dans l’exposition sur l’Expo, l’image s’absente chez Olafur Eliasson. Elle y est, mais de manière inusitée, sans l’habituelle projection sur écran. Tout chez l’artiste de Copenhague — du moins, dans les six oeuvres réunies au MAC — repose sur des effets physiques et optiques, nés dans du concret, tel que l’eau, des miroirs ou… le public.

Immersives et participat­ives à différents degrés, les installati­ons d’Eliasson valsent entre apparition et disparitio­n, entre inertie et mouvement. Un geyser dure le temps d’un flash — l’oeuvre Big Bang Fountain. La pièce titre de l’exposition, l’immense Maison des ombres multiples, ce sont les silhouette­s des visiteurs qui l’animent.

Ludique, spectacula­ire en simplicité, la signature Eliasson remet en question notre perception du monde, mais aussi notre manière de l’habiter. Avec peu d’objets, l’artiste arrive à transforme­r de grandes superficie­s. Dommage qu’on ne lui ait pas permis d’embrasser plus large. Qu’adviendrai­t-il de la série Mirror Door et de ses ambigus cercles lumineux (réels ou simples reflets?) dans une salle où le visiteur serait vraiment confronté à elle ? À LA RECHERCHE D’EXPO 67 ET MAISON DES OMBRES MULTIPLES Musée d’art contempora­in de Montréal, jusqu’au 9 octobre

 ?? SÉBASTIEN ROY ?? Les silhouette­s des visiteurs de l’exposition d’Olafur Eliasson donnent vie à son oeuvre Maison des ombres (2010).
SÉBASTIEN ROY Les silhouette­s des visiteurs de l’exposition d’Olafur Eliasson donnent vie à son oeuvre Maison des ombres (2010).

Newspapers in French

Newspapers from Canada