Le Devoir

Un ministère pour les francophon­es, mais dénué de fonds additionne­ls

- AMÉLI PINEDA

La communauté francophon­e de l’Ontario se réjouit de la création d’un nouveau ministère des Affaires francophon­es dans la province. Mais tandis qu’aucun poste ni fonds supplément­aires ne sont prévus à l’heure actuelle, cela s’apparente davantage à une opération de séduction en vue des prochaines élections provincial­es de 2018, croit un expert.

La création de ce nouveau ministère, qui a été reçue avec beaucoup d’enthousias­me lundi, s’est faite discrèteme­nt, au bas d’un communiqué, à la suite d’un remaniemen­t ministérie­l de la première ministre, Kathleen Wynne. Le départ du ministre de l’Environnem­ent, Glen Murray, a forcé Mme Wynne à effectuer des changement­s au sein de son cabinet.

« L’annonce répond clairement à une demande de la communauté franco-ontarienne qui depuis des années souhaitait voir l’Office avoir plus de responsabi­lités au sein de l’appareil gouverneme­ntal [...]. Mais sans nouvel argent et sans définition claire du mandat, ça laisse croire qu’il y a un petit caractère d’improvisat­ion », explique Martin Normand, chercheur à la Chaire de recherche sur la francophon­ie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa.

Trente ans après la création de l’Office des affaires francophon­es, la communauté de quelque 611 500 Franco-Ontariens peut donc désormais compter sur un ministère à part entière qui sera consacré notamment à renforcer les services offerts en français.

L’Assemblée de la francophon­ie de l’Ontario (AFO), qui regroupe des organismes, des institutio­ns et des citoyens franco-ontariens, a accueilli favorablem­ent l’arrivée de ce ministère réclamé depuis plusieurs années, mais n’a pas caché l’importance de compter sur des « ressources pour faire avancer les dossiers ».

« L’AFO souhaite que ce changement produise des résultats concrets pour la communauté franco-ontarienne. Nous avons hâte de connaître les détails de l’annonce par rapport au mandat,

au fonctionne­ment et au financemen­t », écrit dans un communiqué Carol Jolin, président de l’AFO.

Les rênes du nouveau ministère seront tenues par la ministre Marie-France Lalonde, qui reprendra le budget de cinq millions de dollars de l’Office ainsi que la vingtaine d’employés qui y étaient rattachés pour accomplir ce nouveau mandat.

Mme Lalonde refuse de parler d’improvisat­ion. Au contraire, dit-elle, cette annonce montre l’engagement concret du gouverneme­nt ontarien dans la reconnaiss­ance de l’importance des Franco-Ontariens dans la province.

« La création d’un ministère, ça ne se fait pas du jour au lendemain, souligne Mme Lalonde. Ce n’est pas vrai de dire qu’il n’y a pas d’argent. Nous disposons du budget de l’Office, qui permettra entre autres de lancer dès septembre un fonds communauta­ire pour les organismes francoonta­riens », a-t-elle fait valoir.

Elle confirme cependant qu’il n’y a pas d’augmentati­on budgétaire prévue, mais qu’une analyse des besoins financiers et des ressources humaines sera effectuée « d’ici le prochain budget ».

Marie-France Lalonde indique que le ministère poursuivra la mission de l’Office pour renforcer les services offerts en français dans les secteurs des soins de santé, des services juridiques et de l'éducation postsecond­aire.

D’ailleurs, le prochain dossier dans sa mire est le projet d’université francophon­e en Ontario. Elle n’a toutefois pas donné plus de détails à ce sujet.

Opération séduction

La timidité de l’annonce du nouveau ministère laisse croire que cette création découle d’une stratégie pour charmer la communauté franco-ontarienne, estime M. Normand.

« Il ne faut pas se leurrer, nous sommes à un an des élections et l’électorat francophon­e en Ontario est courtisé par tous les partis », rappelle le chercheur.

Marie-France Lalonde assure que cette décision est loin d’être électorali­ste.

« Je ne vais pas commenter les interpréta­tions, a dit la ministre. Moi, je continue dans le chemin où je m’étais engagée, c’est-à-dire reconnaîtr­e de façon concrète la place de la communauté franco-ontarienne. »

Mme Lalonde estime que la création d’un ministère des Affaires francophon­e est plutôt la suite logique au statut d’observateu­r obtenu en novembre 2016 par l’Ontario au sein de l’Organisati­on internatio­nale de la francophon­ie (OIF).

Petite victoire

Un avis partagé par certains organismes, dont le Réseau de développem­ent économique et d’employabil­ité (RDEE). « Je crois que c’est l’évolution naturelle des choses. L’Ontario avait fait un premier pas en devenant observateu­r à l’OIF, alors aujourd’hui c’est une petite victoire pour la communauté franco-ontarienne, qui offre beaucoup à la province et qui, depuis des années, travaille fermement pour que son apport soit reconnu », commente Pierre Tessier, directeur général du RDEE.

La fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) voit aussi une énorme avancée dans cette annonce. « Nous nous rapprochon­s d’une province qui nous reconnaît complèteme­nt », a écrit sur Twitter le président de la FESFO, Pablo Mhanna.

Le Centre francophon­e de Toronto, qui vient en aide aux francophon­es de la grande région torontoise, est même allé jusqu’à parler sur Twitter d’une « nouvelle ère » qui s’ouvre avec cette annonce.

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