Montréal fait son cinéma. Trouver l’équilibre dans une ville chaotique.
Paysage incontournable du cinéma québécois, décor interchangeable pour les cinéastes américains, Montréal constitue un vaste plateau de tournage aux possibilités infinies. Les artisans de l’industrie connaissent bien les beautés et les vices cachés d’une métropole désireuse de tirer son épingle du jeu sur le grand échiquier du cinéma international. Tout au long de l’été, dans Le Devoir, certains d’entre eux évoquent cette ville sous le prisme de leur profession. Aujourd’hui, Daniel Bissonnette, directeur du Bureau du cinéma et de la télévision de Montréal, et Pierre Moreau, directeur général du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec.
Autoriser la fermeture d’une rue, écouter les doléances d’un citoyen mécontent, convaincre un propriétaire d’immeuble d’ouvrir ses portes au septième art: c’est le quotidien du Bureau du cinéma et de la télévision de Montréal (BCTM), un organisme municipal créé en 1979 pour mettre de l’ordre dans ce chaos que représente le tournage d’un film ou d’une série télé dans la métropole — elle aussi parfois chaotique.
Quant au Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ), un organisme à but non lucratif de développement économique fondé en 2006, il prêche à l’étranger la bonne nouvelle: le Québec, dont Montréal, sait se faire accueillant pour les producteurs qui aimeraient tourner ici. Ses arguments ? La qualité des infrastructures (cinématographiques, on s’entend), du personnel compétent, une diversité architecturale unique en Amérique du Nord… et des crédits d’impôt.
Pour Daniel Bissonnette, un tournage, c’est l’encadrement d’«un projet privé sur la place publique ». Chaque « projet », soit plus de 700 l’an dernier, comporte son lot d’irritants, de surprises, mais aussi de bénéfices, pour la ville et l’industrie audiovisuelle: près de 1,4 milliard de retombées économiques en 2016 et du travail pour près de 35 000 personnes. «Pour la métropole, c’est aussi important que l’aérospatial», souligne avec fierté le directeur du BCTM.
Les détours sont parfois nombreux autour des lieux investis par d’imposantes ou de petites équipes, certains plus que d’autres, comme la rue Belmont, au centre-ville, servant souvent de petit New York, ou le surexposé MileEnd. Ce quartier illustre bien les problèmes d’arbitrage qui se posent au BCTM. « L’an dernier, on a décrété un moratoire dans ce secteur en raison d’un grand nombre de plaintes. Certains médias disaient qu’on voulait tuer les tournages: c’est complètement faux. On veut juste laisser [le quartier] se reposer. Les régisseurs devront travailler davantage pour trouver d’autres lieux: plusieurs sont magnifiques, et ils ne demandent qu’à être utilisés. »
Parfois, le BCTM sert aussi de médiateur entre des organisations réfractaires à cette présence jugée encombrante et des producteurs prêts à bien des concessions pour installer leurs équipements. «La Société de transport de Montréal ne voulait pas accorder aux artisans de X-Men : Days of Future Past [2014] l’accès à une des entrées du métro Square-Victoria-OACI, celle qui ressemble au métro parisien. J’ai mis beaucoup d’efforts à les convaincre que la sécurité ne serait en rien compromise, et qu’un refus, ça se saurait vite à Hollywood, surtout avec autant de vedettes à Montréal. Ils ont compris.» Sur une note plus légère, il évoque les promenades de Wim Wenders en Bixi lors de la préparation d’Every Thing Will Be Fine (2015), s’égarant même jusqu’au square Viger, cet espace bétonné, et mal aimé, quasiment invisible dans notre cinéma. «Un cinéaste étranger voit forcément la ville d’un autre oeil.»
Séduire la planète cinéma
Attirer ici ces têtes d’affiche et leurs équipes, c’est la tâche du BCTQ, ratissant les grands festivals comme Cannes et Berlin, et les capitales de l’industrie, surtout Los Angeles et New York. Ses principaux défis ? Répéter sans cesse les mêmes choses, et briser les préjugés. «Il y a un roulement de personnel phénoménal dans les grands studios: on passe rapidement de Netflix à Amazon, de Warner à Universal, constate le directeur du BCTQ. Il faut rappeler aux gens de l’industrie que nous sommes parfaitement bilingues, alors qu’à Toronto et Vancouver, on laisse entendre que c’est plus simple de tourner chez eux parce qu’ils partagent la même langue, et la même culture. Nous, on ne vend pas qu’un décor, mais un ensemble de services, et le décor est au coeur de ce que l’on vend. Sans compter la qualité de vie, surtout quand une équipe s’installe pour trois à six mois… »
Et devant ceux, nombreux, qui considèrent que cette présence étrangère fait gonfler les prix, Pierre Moreau affiche son scepticisme. «Les grosses infrastructures à Montréal n’existent qu’à cette condition. Les entrepreneurs locaux savent faire la différence entre une superproduction américaine et un film québécois, mais je sais que tout le monde ne sera pas d’accord avec moi. »
Là où tout le monde s’entend, c’est que Montréal demeure encore bonne troisième derrière Toronto et Vancouver pour l’accueil de productions étrangères. Peutelle en recevoir davantage ? Daniel Bissonnette et Pierre Moreau en sont convaincus, travaillent en ce sens, mais demeurent réalistes. «Dans les 10 ou 15 prochaines années, il y aura encore plus de travaux publics », concède le directeur du BCTM. Pour les Montréalais, c’est souvent le décor parfait d’un film d’horreur.