Le Devoir

Le 150e du Canada : une erreur de calcul ?

- LISE BEAUDOIN

Les drapeaux à feuille d’érable qui s’agitent frénétique­ment en cette année anniversai­re invitent à se questionne­r sur l’histoire officielle. Se limiter aux 150 dernières années pour définir le pays semble saugrenu aux autochtone­s et aux descendant­s des premiers Canadiens. D’autant plus que plusieurs événements assombriss­ent cette période.

John A. Macdonald a joué un rôle déterminan­t dans le projet de confédérat­ion. Avant de s’engager en politique, il connaît une brève carrière d’avocat et d’homme d’affaires versé dans la spéculatio­n foncière. En 1840, il devient membre de la loge orangiste de Kingston, une associatio­n prônant la suprématie anglo-saxonne blanche et protestant­e ainsi que l’allégeance à la monarchie britanniqu­e. Ces éléments de sa trajectoir­e imprègnent sa vie politique.

En 1867, il devient premier ministre du Dominion du Canada. De nombreux conflits d’intérêts jalonnent sa carrière. Le plus mémorable d’entre eux, le scandale du Pacifique, relié à la constructi­on du chemin de fer, force son gouverneme­nt à démissionn­er. Malgré ce délit, il est de nouveau premier ministre de 1878 jusqu’à sa mort, en 1891.

Au début de 1864, Macdonald s’emploie à convaincre les colonies britanniqu­es de former une confédérat­ion. Pour arriver à ses fins, il tient un double discours, multiplian­t les promesses afin d’influencer les représenta­nts des provinces, tout en projetant de leur retirer tout pouvoir ultérieure­ment. L’Acte de l’Amérique du Nord britanniqu­e est sanctionné par la reine Victoria en 1867.

Vers l’ouest

À partir de 1867, le projet d’expansion vers l’ouest prend forme avec de graves répercussi­ons pour ceux qui habitent ce territoire. La constructi­on du chemin de fer, condition pour obtenir l’adhésion de la Colombie-Britanniqu­e et coloniser l’Ouest, provoque des déplacemen­ts de population orchestrés par le gouverneme­nt Macdonald et quelques hommes d’affaires.

Des mesures draconienn­es permettent de s’emparer du territoire habité par les autochtone­s. Le projet d’assimilati­on des Premières Nations annoncé dans la loi constituti­onnelle se concrétise avec la Loi sur les Indiens de 1876. Refoulées dans des réserves, les Premières Nations dépendent du gouverneme­nt pour leur subsistanc­e. La nourriture retenue dans des entrepôts pour les forcer à signer des traités désavantag­eux leur parvient avariée et provoque des maladies tuant des milliers d’entre eux.

Pour accélérer le processus d’assimilati­on, Macdonald affirme en 1883 que «les enfants indiens devraient être retirés le plus possible de l’influence de leurs parents, et la seule manière d’y arriver est de les placer dans des écoles industriel­les où ils vont acquérir les habitudes et les pratiques des Blancs». Ils sont arrachés à leur famille et envoyés de force dans des pensionnat­s protestant­s et catholique­s où ils vivent dans des conditions déplorable­s. Cette pratique perdure jusqu’en 1996.

Les Métis font également les frais de cette expansion territoria­le. Le chemin de fer sert à transporte­r les troupes dépêchées pour mater leur résistance durement réprimée. Cet épisode aboutit à la pendaison de Louis Riel, en 1885. Au Québec, cette décision soulève un tollé, mais Macdonald refuse d’en tenir compte: «Riel sera pendu même si tous les chiens du Québec aboient.»

Par ailleurs, plus de 15 000 Chinois embauchés entre 1881 et 1885 pour effectuer les tâches les plus dangereuse­s de la constructi­on du chemin de fer sont soumis à des conditions inhumaines; au moins 600 d’entre eux perdent la vie.

Assimilati­on

Macdonald ne peut imposer ses politiques d’assimilati­on de manière aussi brutale aux francophon­es, plus au fait de leurs droits. Déjà en 1839, l’assimilati­on les menace sans se concrétise­r. Au cours des années, le gouverneme­nt central laisse aux provinces la tâche de défaire ses engagement­s. Par exemple, le Common School Act du Nouveau-Brunswick, en 1871, et L’Official Language Act de l’Île-du-PrinceÉdou­ard, en 1873, amorcent une série de mesures qui restreigne­nt ou abolissent le droit à l’enseigneme­nt en français dans toutes les provinces anglophone­s. Les francophon­es s’investisse­nt dans des luttes marquées par des gains et des pertes. En 2017, ils font toujours face à des conditions favorisant l’assimilati­on malgré leurs efforts. Le Québec s’en tire mieux, parce qu’il a su créer les conditions nécessaire­s pour protéger sa langue et sa culture.

Le 150e, c’est le Canada de Macdonald avec sa politique d’assimilati­on, son racisme et son approche affairiste, ainsi que le maintien du lien obsolète à la couronne britanniqu­e. Le 150e, c’est également le Canada de la politique du multicultu­ralisme de 1971 permettant aux nouveaux arrivants de conserver leur culture. Cette ouverture est souhaitabl­e, mais dans le contexte canadien, le multicultu­ralisme comme il a été conçu augmente le poids démographi­que des anglophone­s et dilue l’importance des autochtone­s et des francophon­es. Il représente une version contempora­ine de la politique d’assimilati­on de Macdonald.

Ces 150 dernières années révèlent un déficit démocratiq­ue et historique. Les millénaire­s de présence autochtone et les 483 ans d’histoire des premiers Canadiens, qu’on appelait ainsi pour les distinguer des Français de passage, confirment leur rôle comme peuples fondateurs. On trouve pendant cette période des événements faisant contrepoid­s aux années Macdonald. Par exemple, les autochtone­s transmette­nt à Jacques Cartier l’appellatio­n «Canada», toponyme qu’il adopte et diffuse par le récit de ses voyages de 1534 à 1542. Ce geste de partage donne naissance à un pays sous de meilleurs auspices.

Ces 150 dernières années révèlent un déficit démocratiq­ue et historique

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