Le Devoir

Il faut corriger le tir

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Selon des vidéos et photos obtenues par le Globe and Mail, des véhicules militaires de fabricatio­n canadienne auraient été utilisés par l’Arabie saoudite dans des opérations de répression contre des militants chiites dans la province orientale de ce pays. Voilà exactement ce que le gouverneme­nt canadien refusait d’envisager il ya à peine 15 mois, au moment d’autoriser la vente à Ryad de véhicules blindés.

Selon une déclaratio­n transmise au Globe and Mail par le ministère des Affaires mondiales, cette situation préoccupe beaucoup la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, qui a demandé à ses fonctionna­ires d’enquêter. Si les faits s’avèrent exacts, elle agira. Ce n’était qu’une question de temps pour qu’on en arrive là. La situation dans la région pétrolifèr­e d’al-Qatif n’est pas nouvelle et s’est intensifié­e au cours des dernières semaines. Les militants chiites y sont victimes d’une répression souvent violente sous couvert de lutte au terrorisme. On y a déjà utilisé des véhicules blindés semblables à ceux achetés au Canada, mais dont on ignore l’origine. Même chose au Yémen où une interventi­on militaire menée par l’Arabie saoudite perdure depuis deux ans avec exactions et mort de milliers de civils à la clé, selon les Nations unies.

Ces deux conflits avaient cours au moment où le gouverneme­nt Trudeau a réexaminé la vente à l’Arabie saoudite de centaines de véhicules produits par General Dynamics Land Systems Canada. Ce contrat conclu sous les conservate­urs ne pouvait toutefois aller de l’avant sans l’attributio­n subséquent­e de licences d’exportatio­n. Il revenait aux libéraux de les accorder ou non. Malgré le tollé qu’avait soulevé cette vente évaluée à 15 milliards de dollars, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Dion, a donné son accord en avril 2016 sur la base de l’évaluation faite par son ministère.

En vertu de la Loi sur les licences d’exportatio­n et d’importatio­n et les lignes directrice­s qui l’accompagne­nt, le gouverneme­nt est pourtant censé contrôler «étroitemen­t l’exportatio­n de produits militaires vers les pays […] dont les gouverneme­nts commettent constammen­t de graves violations des droits de la personne contre leurs citoyens» et exiger d’eux qu’ils prouvent «que les produits ne risquent pas d’être utilisés contre la population civile».

Or, l’Arabie saoudite affiche l’un des pires bilans en matière de violations des droits de la personne, notamment envers les femmes, la minorité chiite et les dissidents politiques et religieux. L’évaluation soumise à M. Dion ne niait pas « les inquiétude­s sérieuses» du Canada quant à la violation des droits de la personne, mais insistait sur l’importance stratégiqu­e, économique et commercial­e de l’Arabie saoudite et sur les emplois en jeu au Canada. On précisait que rien ne laissait croire que des véhicules militaires canadiens auraient servi ou serviraien­t dans des opérations menées contre la population civile.

Le Canada n’est pas le seul pays prétendume­nt attaché aux droits de la personne à se contorsion­ner de la sorte. Au cours des mois qui ont suivi une attaque sanglante au Yémen en octobre 2016, attaque condamnée par les Nations unies, la GrandeBret­agne a autorisé des ventes d’armes à Ryad d’au moins un demi-milliard de dollars.

Le gouverneme­nt Trudeau a aujourd’hui des motifs supplément­aires pour corriger son erreur initiale. Les sérieux doutes qui pèsent sur les agissement­s de Ryad et la situation en matière de droits de la personne qui ne fait que se dégrader ne permettent plus de se contenter des assurances du gouverneme­nt saoudien. Il faut mettre fin à ce contrat de vente de véhicules blindés qui entache la réputation du Canada. La complaisan­ce face à l’Arabie saoudite a assez duré.

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MANON CORNELLIER

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