Le Devoir

Sam Shepard,

Capitaine Americana

- LÉO SOESANTO

Incarnatio­n d’une virilité de cowboy rock, l’acteur et dramaturge qui a tourné pour Malick, Antonioni et Wenders est mort lundi à 73 ans.

Alors que Donald Trump peine à rendre l’Amérique «great again», c’est un morceau de la nation de ces 40 dernières années qui s’en va avec Sam Shepard. L’acteur et dramaturge, qui souffrait de la maladie de Lou Gehrig, est mort le 27 juillet dans sa maison du Kentucky à l’âge de 73 ans.

Il était davantage connu pour ses apparition­s d’acteur, sa belle gueule de type droit et tourmenté, que pour sa prose — couronnée du prestigieu­x prix Pulitzer en 1979 pour Buried Child. «L’auteur mâle le plus chosifié » (« objectifie­d ») de sa génération, selon le New Yorker.

Shepard était l’Amérique, aussi à l’aise en cowboy que dans le légendaire Chelsea Hotel new-yorkais dont il était pensionnai­re. Et peu peuvent se targuer d’avoir inspiré à Joni Mitchell une chanson, Coyote (1976) : « That Coyote’s at my door / He pins me in a corner and he won’t take “No!” / He drags me out on the dancefloor / And we’re dancing close and slow.» Pas mal.

Une vie de rodéo

Sam Shepard naît le 5 novembre 1943 à Fort Sheridan, Illinois, sous son vrai nom Samuel Shepard Rogers IV. Longtemps, il sera surnommé «Steve» Rogers, comme le nom civil du personnage de bande dessinée… Captain America. Son enfance, avec un père mi-professeur mi-fermier, alcoolique-colérique, et une mère professeur­e, marquera fortement les pièces qu’il commencera à écrire dès son installati­on à New York en 1963. Un peu promis à une vie de rodéo, il découvre, au contact de condiscipl­es beatniks, Samuel Beckett et le jazz.

Sa première pièce, forcément appelée Cowboys, est décrite par un critique du New York Post comme un mélange d’En attendant Godot et Des souris et des hommes. Les oeuvres de la maturité, écrites au mitan des années 1970, sont hantées par les familles et couples dysfonctio­nnels sur fond d’Amérique éternelle: True West (1980), Fool for Love (1983). À côté, il trouve le temps d’écrire pour le cinéma et des Européens avides d’Amérique, et de transcende­r ses images d’Épinal — avec Michelange­lo Antonioni pour Zabriskie Point (1970), puis Wim Wenders pour Paris, Texas (1984). Et aussi de s’acheter une crédibilit­é rock définitive en ayant une liaison avec Patti Smith et en accompagna­nt Bob Dylan sur sa tournée Rolling Thunder, en 1975, dont il écrira un journal de bord.

Charismati­que et positif

C’est logiquemen­t dans un autre morceau d’Amérique en soi que Shepard frappe pour la première fois l’esprit des spectateur­s : Les moissons du ciel (1978), de Terrence Malick, où il joue le taiseux et riche fermier, presque Gatsby le magnifique dans les champs, que les jeunes Richard Gere et Sissy Spacek veulent arnaquer.

C’est pour lui le début d’une série d’apparition­s sur grand écran qui culmine avec sa nomination pour l’Oscar du meilleur second rôle dans L’étoffe des héros (1985), de Philip Kaufman. Il y incarne le héros américain type et rebelle comme il faut, Chuck Yeager, le premier pilote américain à franchir le mur du son — un rôle pas forcément évident pour Shepard, atteint d’une phobie de l’avion, mais la preuve qu’il ne pouvait finalement guère se détacher de son père, pilote pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le rôle le fixera définitive­ment en Captain America alternatif dont les cinéastes voudront d’année en année capter l’aura, même en second rôle: Sean Penn dans The Pledge (2001), Andrew Dominik dans L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007) ou Jeff Nichols dans Mud (2012) et Midnight Special (2015). Et même dans la série télé, avec Bloodline, pour Netflix en 2015.

Un morceau d’Amérique, charismati­que et positif, mais suffisamme­nt souple, malléable pour être crédible en outsider et à l’aise à Hollywood — ses rôles de militaires dans La chute du faucon noir (2001), de Tony Scott, ou le navet Furtif (2005), de Rob Cohen.

En juin 2014, au quotidien britanniqu­e The Guardian qui lui demandait quels étaient respective­ment son bien le plus précieux et ce qui pourrait égayer sa vie, Shepard répondait : «Un cheval » et « Kate Moss ».

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CHARLES SYKES ASSOCIATED PRESS L’auteur et acteur, qui a grandi dans un ranch de la Californie, était un homme de peu de mots, ce qui ne l’a pas empêché d’écrire 44 pièces de théâtre et de nombreux livres, mémoires et nouvelles.

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