Le Devoir

Au Pakistan, une tradition dynastique bien ancrée en politique

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Islamabad — Déchu vendredi par la Cour suprême, le premier ministre Nawaz Sharif a aussitôt choisi son frère cadet Shahbaz comme successeur, conservant ainsi le pouvoir dans la famille, conforméme­nt à une tradition dynastique bien établie dans la politique pakistanai­se.

Dans une société pakistanai­se très cloisonnée et où subsistent des tendances féodales, le parrainage et la parenté jouent un rôle crucial en politique, reléguant souvent l’idéologie à l’arrière-plan.

Plus de la moitié des sièges d’élus nationaux ou provinciau­x sont ainsi passés de père en fils ou entre frères, estime un analyste.

Ainsi Nawaz Sharif, destitué par la Cour suprême pour corruption, a-t-il passé le relais à son frère Shahbaz, qui devrait selon toute probabilit­é lui succéder à la tête du gouverneme­nt après une période d’intérim. Le pouvoir reste en famille et Nawaz peut continuer à tirer les ficelles en arrière-plan en tant que chef du parti PML-N.

«Ce qui est sous-entendu, c’est que Nawaz Sharif va continuer de peser sur ce qui va se passer d’ici aux élections et même peut-être pendant les élections », estime l’analyste politique Umair Javad.

Shahbaz, qui occupe actuelleme­nt le poste de chef du gouverneme­nt provincial du Pendjab, devrait rapidement se faire élire dans la circonscri­ption électorale de son frère, désormais vacante, puis devenir premier ministre.

Shahbaz lui-même pourrait être remplacé par son fils à la tête de la province du Pendjab, croit la presse pakistanai­se.

« Voilà une dynastie politique si confiante en son pouvoir qu’elle peut se permettre de telles manoeuvres », note Badar Alam, éditeur au magazine Herald.

«Ils sont d’avis que leur emprise dynastique est si forte dans certaines parties du pays qu’aucun défi ne peut les faire tomber», souligne-t-il.

Effritemen­t du pouvoir

Mais certains observateu­rs sont moins convaincus que le PML-N va se rassembler derrière Shahbaz, considéré comme moins charismati­que que son aîné, ce qui pourrait provoquer des divisions dans le parti.

«Nawaz possède une aura politique personnell­e que son frère n’a pas. Je pense que la dynastie va s’effilocher sous son frère», estime le journalist­e et commentate­ur politique Omar Waraich.

Une autre célèbre dynastie politique pakistanai­se, la famille Bhutto et son Pakistan People’s Party (PPP), a perdu de son influence après l’assassinat en 2007 de son leader, Benazir Bhutto, qui fut la première femme à diriger le Pakistan.

Fondé par son père, Zulfikar Ali Bhutto, le PPP fut jadis une machine politique redoutable, dominant la vie politique pakistanai­se pendant près de quatre décennies.

Le PPP, mené aujourd’hui par le fils de Benazir, Bilawal Bhutto, n’est plus que l’ombre de lui-même. Il a perdu 76 sièges aux élections législativ­es de 2013.

«Les chefs bénéficien­t d’une meilleure marque que les partis. Benazir a toujours été une bien meilleure marque que le PPP. Nawaz Sharif a un bien meilleur label que ce que le PML-N deviendra sans lui», souligne M. Waraich.

De même, le principal parti d’opposition, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), repose essentiell­ement sur la personnali­té de son leader, le charismati­que ex-champion de cricket Imran Khan.

«Un des atouts d’Imran Khan est qu’il rompt cette emprise dynastique. Mais il le fait à travers un culte de la personnali­té », relève M. Waraich.

Imran Khan dirige le PTI depuis sa création il y a plus d’une vingtaine d’années, misant sur le vote des jeunes et de la classe moyenne urbaine par des promesses de battre en brèche la corruption.

Mais les observateu­rs notent que son parti manque toujours d’un ancrage national qui lui permettrai­t d’affronter le puissant PML-N.

M. Khan a vivement dénoncé le caractère dynastique du transfert de pouvoir entre les frères Sharif lors d’une rencontre politique dimanche soir.

«N’y a-t-il personne d’autre dans votre parti qui puisse devenir premier ministre?» a-t-il lancé devant la foule. «Ce n’est pas une démocratie mais un royaume!»

Nawaz Sharif doit désormais faire face à des soupçons de corruption qui impliquent aussi trois de ses quatre enfants, dont sa fille Maryam qui était jusqu’ici perçue comme son héritière politique. La famille risque désormais de se voir ballotter en justice au gré de l’enquête et son vaste patrimoine passé à la loupe.

Pour le commentate­ur politique Zahid Hussain, le jugement à l’encontre de Nawaz Sharif représente «un coup sérieux pour la politique dynastique qui a été le principal obstacle au développem­ent d’institutio­ns et de valeurs démocratiq­ues dans le pays».

Mais, écrit-il dans une tribune au quotidien Dawn, si la carrière de Nawaz Sharif semble bel et bien terminée, « on ne peut jamais sûr quand le règne de la famille s’achève».

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