Le Devoir

Louis Riel gagne une nouvelle dimension

La production de Peter Hinton donne un nouveau relief à l’opéra de Somers

- CHRISTOPHE HUSS

FESTIVAL D’OPÉRA DE QUÉBEC Harry Somers : Louis Riel, opéra (1967). Russell Braun (Louis Riel), James Westman (John A. Macdonald), Alain Coulombe (Mgr. Taché), Allyson McHardy (Julie Riel), choeurs de l’Opéra de Québec, Orchestre symphoniqu­e de Québec, Jacques Lacombe. Mise en scène : Peter Hinton. Au Grand Théâtre de Québec, dimanche 30 juillet. Reprises mardi et jeudi.

Louis Riel, spectacle monté 50 ans après la création de l’opéra de Harry Somers, boucle son périple, après Toronto et Ottawa, au Festival d’opéra de Québec. Il est question de reprises à Winnipeg et à Edmonton, mais l’héroïque titulaire de l’épuisant rôle-titre, Russell Braun, nous a avoué avoir plutôt le coeur à tourner la page après la représenta­tion de jeudi prochain. Il reste donc deux occasions aux mélomanes de Québec de se montrer à la hauteur de la digne et courageuse programmat­ion du premier grand opéra de l’histoire musicale canadienne et de venir en plus grand nombre plébiscite­r leur festival.

Nous avons évoqué dans nos colonnes les ambitions du metteur en scène Peter Hinton. C’est peu dire que sa lecture scénique ajoute une nouvelle dimension, un nouveau relief et une nouvelle force à Louis Riel, apports d’autant plus tangibles que le spectacle d’antan a été documenté en vidéo.

Au rancard, les lourds costumes et les espaces confinés. Dans le spectacle de 2017, les espaces sont ouverts en horizontal­ité et en verticalit­é, avec une assemblée à la symbolique populaire. Mais le coup de génie de Hinton est l’introducti­on silencieus­e des peuples autochtone­s. Une présence forte face à une histoire qui se dessine et se décide sans eux. Ils se déploient au début de l’opéra et sont l’identité du territoire (vêtus de rouge, comme la rivière du même nom) avant d’être assimilés, alors que le rouge disparaît au profit du noir. Dans les scènes avec Macdonald, au parlement, alors que des décisions se prennent, ils ne font que passer. Tout les concerne, mais ils sont sans voix. Ces mêmes acteurs muets se dressent parfois contre Riel lorsque les actions de ce dernier semblent avant tout mues par une sorte de fanatisme religieux.

Un acteur huron-wendat vient prononcer quelques paroles au début du spectacle qu’il soutient au nom du « rapprochem­ent, de la fraternité et du partage». En 1967, Louis Riel, qui dépeint un John A. Macdonald non seulement fourbe mais ivrogne, était un opéra sans concession­s sur le cynisme colonialis­te de la constructi­on du Canada. La lecture scénique de 2017 s’inscrit parfaiteme­nt dans la démarche « vérité et réconcilia­tion» et ajoute une vraie strate à l’ouvrage. Ce qui marche moins bien dans le spectacle tient du détail: la mère de Riel a l’air de sa femme et sa femme a l’air de sa fille!

La musique a pu faire grincer des dents en 1967. Ce n’est plus le cas. L’électroniq­ue, par exemple, est très bien gérée et répartie dans le théâtre. Louis Riel reste cependant marqué par un côté «en bloc»: les personnage­s, cernés et mus par des sentiments très exacerbés, voire outrés et caricatura­ux, sont relayés par une musique abondammen­t percussive et l’expression vocale est à haute intensité. Si quelque chose a vieilli dans l’opéra, c’est sans doute cela: comment chanter un sentiment? En 1967, le monde lyrique était dans une impasse stylistiqu­e à ce sujet. Harry Somers trouve des solutions, mais elles requièrent uniforméme­nt des charges d’adrénaline.

Le rôle de Riel est écrasant et c’est peu dire que Russell Braun nous fait découvrir toute son ampleur. Il ne devrait pas chanter une partie du premier de ses deux titanesque­s monologues derrière le feu brûlant sur scène, car il y est victime d’un trou acoustique. Alain Coulombe s’impose également en Monseigneu­r Taché, de même que Jacques Lacombe, avec une direction d’une précision remarquabl­e. Excellent plateau, au sein duquel se distingue la soprano Simone Osborne dans son solo de Marguerite Riel, abandonnée au début de l’Acte III. Et mention spéciale pour les costumes

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