Le Devoir

Quand deux regards valent mieux qu’un

Justin Benson et Aaron Moorhead, ou le cinéma de genre pratiqué à quatre mains

- ANDRÉ LAVOIE

Depuis près d’une décennie, Justin Benson et Aaron Moorhead ne peuvent envisager l’idée de faire du cinéma chacun de leur côté. Et ils ne tiennent pas non plus à se cantonner à la fonction de réalisateu­r, préférant l’appellatio­n « filmmaker », pour son côté artisanal: du montage aux effets spéciaux, du scénario à la réalisatio­n, en passant par le jeu et la direction photo, les deux amis sont partout dans des films comme Resolution (2012) et Spring (2014).

Grands amateurs de cinéma d’horreur et de fantastiqu­e, ils reviennent à Fantasia avec The Endless, autre exemple de leur démarche cohérente, et collaborat­ive, partageant cette fois le haut de l’affiche. Nous avions aperçu leurs personnage­s de rescapés d’une secte fascinée par les extraterre­stres dans Resolution ; revoilà ces deux frères de sang, dix ans plus tard, loin de cette enclave, et un peu paumés. Une étrange invitation à renouer avec les camarades d’autrefois, idyllique au départ, qui va basculer dans des mondes parallèles et un climat d’étrangeté de plus en plus menaçant.

Lors d’une conversati­on téléphoniq­ue à quelques jours de leur arrivée à Montréal, les deux cinéastes américains reviennent sur leurs méthodes de travail, et le sentiment de liberté qu’elles leur procurent. Ont-ils l’impression de disperser leurs énergies, voire de se perdre? «Ça rend le processus encore plus intéressan­t, déclare Justin, et surtout plus amusant, puisque nous faisons sans cesse des découverte­s.» «Nous ne sommes quand même pas seuls, mais si on peut se salir les mains, on va le faire!» ajoute Aaron.

De la pertinence des films de genre

Cette implicatio­n à tous les niveaux, ou leurs chasses gardées (par exemple, Justin au scénario et Aaron aux effets spéciaux), peut ressembler à un ardent désir de contrôle, mais pour le tandem, il n’en est rien. «On associe ce besoin à un ego démesuré, souligne Aaron. Pour nous, c’est une manière de réussir notre film.» «Nous sommes méticuleux à toutes les étapes, enchaîne Justin. Il faut faire en sorte que l’histoire soit compréhens­ible — au moins une dizaine de personnes relit mes scénarios —, que les lieux de tournage soient accessible­s, et que les acteurs aient répété avant le tournage. »

Pas besoin de préciser que l’improvisat­ion, très peu pour eux. «J’entends des cinéastes dire qu’ils ne veulent pas trop répéter pour ne pas perdre la magie au moment du tournage. Aaron et moi, on ne croit pas à ça. Ethan Hawke disait qu’au théâtre, la meilleure représenta­tion, ce n’était pas la première ou la cinquième, mais la soixantièm­e. Au cinéma, ce n’est pas la première prise qui est la bonne, mais la dernière.»

Les deux cinéastes demeurent aussi convaincus de la pertinence des films de genre, surtout lorsqu’il est question d’aborder des enjeux de notre époque, ou universels, sans donner l’impression de prêcher. « La pilule est plus facile à avaler avec un film de genre», selon Aaron. The Endless, par exemple, évoque le phénomène des sectes ainsi que les croyances en des phénomènes extraterre­stres, mais, selon le spécialist­e en effets spéciaux, «c’est surtout un film sur la mort, sur les rapports entre frères et l’importance de la réconcilia­tion ». Il n’hésite pas à piger des exemples ailleurs, comme Night of the Living Dead (1968), de George A Romero, «un film profond sur le fanatisme religieux et le racisme fait de façon divertissa­nte », ou Get Out (2017), de Jordan Peele, « qui serait moralisate­ur et ennuyeux si ce n’était pas un film d’horreur; on le reçoit en pleine figure, on ne peut passer à côté du message, et ça stimule les conversati­ons sur la situation des Afro-Américains».

D’un festival à l’autre, et le tandem en fréquente plusieurs à travers le monde depuis le début de leur carrière, ils espèrent autant de discussion­s pour The Endless, précisant au passage qu’il ne faut pas l’aborder comme une métaphore de leur relation profession­nelle ! « Il n’y a absolument rien d’autobiogra­phique », affirme Justin. «Au montage, ajoute Aaron, on se critiquait comme s’il ne s’agissait pas de nous à l’écran. On était capables de prendre une distance, même si sur le plan métaphoriq­ue, nous sommes un peu frères dans la vie. » Ils préfèrent nettement décrire la relation de leurs personnage­s avec l’inconnu, l’au-delà, et l’immensité de l’univers. «D’où l’importance pour l’être humain de créer des mythes», conclut Justin. Aaron devait sûrement opiner du bonnet. THE ENDLESS Au Théâtre Hall de l’Université Concordia ce mardi 1er août à 19 h en présence des réalisateu­rs.

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FANTASIA Justin Benson et Aaron Moorhead reviennent à Fantasia avec The Endless, dans lequel ils partagent le haut de l’affiche.

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