Le Devoir

Prophète en son pays

- FRANÇOIS DOMINIC LARAMÉE Doctorant en histoire (numérique), Université de Montréal

Le programme de chaires universita­ires Canada 150 est une catastroph­e. Pas pour tout le monde, bien sûr. Pour les départemen­ts universita­ires, il s’agit (du moins à première vue) d’une manne tombée du ciel: quelque 150 postes permanents, dotés de fonds de recherche de 350 000dollars ou de 1 million de dollars par année pendant sept ans, qui viennent panser quelques-unes des plaies infligées par de longues années d’austérité. Difficile de les blâmer de vouloir en profiter.

Mais pour les chercheurs et les chercheuse­s des université­s canadienne­s en début de carrière — doctorants, post-doctorants, chargés de cours, professeur­s dont le contrat n’est pas renouvelab­le et autres profession­nels à statut précaire qui souhaitent accéder à des emplois stables —, c’est une tout autre histoire.

L’appel de candidatur­es pour une chaire en humanités numériques à l’Université du Québec à Trois-Rivières explique pourquoi: « Conforméme­nt aux règles du Programme des chaires de recherche du Canada 150, l’UQTR n’acceptera que les candidatur­es de chercheurs qui travaillen­t et habitent à l’extérieur du Canada».

Vous avez bien lu. On ne parle pas seulement d’une sorte de discrimina­tion positive envers un groupe, les chercheurs étrangers, qui n’a jamais subi de discrimina­tion négative, ni même d’une étrange forme d’antipréfér­ence nationale comme on n’en verrait jamais ailleurs. Les étudiants des université­s canadienne­s (y compris ceux et celles venus d’ailleurs pour faire un doctorat ou un postdoctor­at ici) et les jeunes chercheurs qui n’ont pas eu la bonne idée de quitter le pays après leurs études sont tout simplement exclus d’emblée.

Peu importe la qualité de leur recherche. Peu importe qu’ils ou elles fassent partie de groupes historique­ment sousreprés­entés dans l’enseigneme­nt supérieur. Peu importe que l’expatriati­on n’ait jamais constitué une option viable pour bien des chercheurs canadiens, pour des raisons financière­s, familiales ou même profession­nelles — qui songerait à aller étudier les cultures des Premières Nations ou des Inuits en Australie ?

Absurde

Pour pousser le raisonneme­nt jusqu’à la limite de l’absurde: si Chad Gaffield, un éminent historien récemment élevé au rang d’officier de l’Ordre du Canada pour sa contributi­on à l’avancement des humanités numériques, était intéressé par le projet de chaire de l’UQTR ou par son équivalent à Concordia, il serait disqualifi­é parce qu’il occupe un poste de professeur à l’Université d’Ottawa. La totalité d’une carrière balayée à cause d’un délit d’adresse civique.

L’ironie de créer un concours pour fêter l’anniversai­re de la Confédérat­ion canadienne et d’en disqualifi­er tous les résidents du Canada laisse pantois.

Elle s’accompagne aussi d’un triste constat: en excluant d’emblée les chercheurs des université­s canadienne­s, les institutio­ns qui ont imaginé le programme affirment que la meilleure science se fait nécessaire­ment à l’étranger — et si les institutio­ns canadienne­s ne font pas confiance à la qualité de la formation à la recherche offerte par les université­s canadienne­s, qui le fera ?

Les postes universita­ires sont d’une rareté désespéran­te. La compétitio­n est féroce. C’est une réalité que nous, chercheurs en début de carrière, avons acceptée lorsque nous avons entrepris des études de doctorat. Et un programme richement doté comme celui des chaires de recherche du Canada 150 justifiera­it sans doute la création d’un concours mondial, ouvert à tous, sans préférence nationale.

Mais rien ne peut justifier la disqualifi­cation pure et simple des chercheurs des université­s canadienne­s. D’autant plus que les conséquenc­es pernicieus­es de cette disqualifi­cation pourraient se faire sentir longtemps : les besoins en personnel (et surtout les budgets) des université­s étant limités, chaque chaire attribuée cette année signifie qu’un poste n’aura pas à être pourvu par un concours normal l’année prochaine, ni dans trois ans ni dans cinq ans.

Les célébratio­ns du 150e anniversai­re de la Confédérat­ion s’achèvent, mais les dommages collatérau­x subis par les doctorants et par les chercheurs et chercheuse­s à statut précaire ne sont pas sur le point de disparaîtr­e.

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ISTOCK Le nouveau programme veut créer 150 postes.

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