Prophète en son pays
Le programme de chaires universitaires Canada 150 est une catastrophe. Pas pour tout le monde, bien sûr. Pour les départements universitaires, il s’agit (du moins à première vue) d’une manne tombée du ciel: quelque 150 postes permanents, dotés de fonds de recherche de 350 000dollars ou de 1 million de dollars par année pendant sept ans, qui viennent panser quelques-unes des plaies infligées par de longues années d’austérité. Difficile de les blâmer de vouloir en profiter.
Mais pour les chercheurs et les chercheuses des universités canadiennes en début de carrière — doctorants, post-doctorants, chargés de cours, professeurs dont le contrat n’est pas renouvelable et autres professionnels à statut précaire qui souhaitent accéder à des emplois stables —, c’est une tout autre histoire.
L’appel de candidatures pour une chaire en humanités numériques à l’Université du Québec à Trois-Rivières explique pourquoi: « Conformément aux règles du Programme des chaires de recherche du Canada 150, l’UQTR n’acceptera que les candidatures de chercheurs qui travaillent et habitent à l’extérieur du Canada».
Vous avez bien lu. On ne parle pas seulement d’une sorte de discrimination positive envers un groupe, les chercheurs étrangers, qui n’a jamais subi de discrimination négative, ni même d’une étrange forme d’antipréférence nationale comme on n’en verrait jamais ailleurs. Les étudiants des universités canadiennes (y compris ceux et celles venus d’ailleurs pour faire un doctorat ou un postdoctorat ici) et les jeunes chercheurs qui n’ont pas eu la bonne idée de quitter le pays après leurs études sont tout simplement exclus d’emblée.
Peu importe la qualité de leur recherche. Peu importe qu’ils ou elles fassent partie de groupes historiquement sousreprésentés dans l’enseignement supérieur. Peu importe que l’expatriation n’ait jamais constitué une option viable pour bien des chercheurs canadiens, pour des raisons financières, familiales ou même professionnelles — qui songerait à aller étudier les cultures des Premières Nations ou des Inuits en Australie ?
Absurde
Pour pousser le raisonnement jusqu’à la limite de l’absurde: si Chad Gaffield, un éminent historien récemment élevé au rang d’officier de l’Ordre du Canada pour sa contribution à l’avancement des humanités numériques, était intéressé par le projet de chaire de l’UQTR ou par son équivalent à Concordia, il serait disqualifié parce qu’il occupe un poste de professeur à l’Université d’Ottawa. La totalité d’une carrière balayée à cause d’un délit d’adresse civique.
L’ironie de créer un concours pour fêter l’anniversaire de la Confédération canadienne et d’en disqualifier tous les résidents du Canada laisse pantois.
Elle s’accompagne aussi d’un triste constat: en excluant d’emblée les chercheurs des universités canadiennes, les institutions qui ont imaginé le programme affirment que la meilleure science se fait nécessairement à l’étranger — et si les institutions canadiennes ne font pas confiance à la qualité de la formation à la recherche offerte par les universités canadiennes, qui le fera ?
Les postes universitaires sont d’une rareté désespérante. La compétition est féroce. C’est une réalité que nous, chercheurs en début de carrière, avons acceptée lorsque nous avons entrepris des études de doctorat. Et un programme richement doté comme celui des chaires de recherche du Canada 150 justifierait sans doute la création d’un concours mondial, ouvert à tous, sans préférence nationale.
Mais rien ne peut justifier la disqualification pure et simple des chercheurs des universités canadiennes. D’autant plus que les conséquences pernicieuses de cette disqualification pourraient se faire sentir longtemps : les besoins en personnel (et surtout les budgets) des universités étant limités, chaque chaire attribuée cette année signifie qu’un poste n’aura pas à être pourvu par un concours normal l’année prochaine, ni dans trois ans ni dans cinq ans.
Les célébrations du 150e anniversaire de la Confédération s’achèvent, mais les dommages collatéraux subis par les doctorants et par les chercheurs et chercheuses à statut précaire ne sont pas sur le point de disparaître.