Le Devoir

Amélie Dallaire, sculptrice d’ambiance et de tons

De retour avec La conférence, la dramaturge dessine des univers décalés du réel

- MARIE LABRECQUE Collaborat­rice Le Devoir

Révélée par l’insolite Queue cerise, créée durant l’hiver 2016 à la salle Jean-ClaudeGerm­ain, Amélie Dallaire ne paraîtrait pas trop déplacée dans son propre univers fictif.

D’une présence aérienne, toute en douceur, elle dévoile en entrevue — un rituel auquel elle est peu habituée — un regard empli d’incertitud­es, d’ambivalenc­es, d’interrogat­ions. La créatrice est de ces artistes intuitifs qui trouvent difficile d’intellectu­aliser leur démarche après-coup. «C’est plus facile d’écrire que d’en parler, je trouve», note la dramaturge qui accueille Le Devoir dans sa cuisine, devant la table où, à 18 jours de sa présentati­on, elle s’affairait encore à écrire La conférence, le texte inédit qu’elle prépare pour le ZH Festival.

Comédienne diplômée du Conservato­ire en 2006, Amélie Dallaire a fait ses gammes d’auteure grâce à la liberté informelle du Théâtre tout Court. Une formule qui, à ses débuts à l’Espace La Risée, fut le «point de rencontre» de plusieurs créateurs, les Olivier Morin, Mathieu Quesnel, Guillaume Tremblay. L’interprète y a aussi gagné de l’assurance en s’écrivant des micropièce­s adaptées à son type de jeu « un peu décalé ». «Je sais que c’est une idée reçue, qu’elle n’existe pas, mais je ne me suis jamais vue comme la comédienne type, explique-t-elle. J’aime jouer, mais je me sens plus à ma place comme créatrice. En même temps, je ne me considère pas comme une auteure. Je vois un peu l’écriture comme de l’art visuel, de la sculpture. Les mots me servent à créer d’autre chose que des [belles] phrases. Ils servent plus à modeler des ambiances, un ton. »

Sa difficulté à nommer les choses devient un atout dans son oeuvre, croit-elle. « Je me sers de ce flou-là pour écrire.» Fascinée par l’inconscien­t, par le non-dit qui couve toujours sous les rapports sociaux, par les personnage­s qui sont l’objet de leurs pulsions, elle tend vers une écriture qui laisse transparaî­tre sans trop dire, à travers les lapsus ou les gestes. «C’est comment dire quelque chose en disant autre chose, en fait. »

Très sensible à l’absurde dans les conversati­ons, d’où son écriture imprégnée d’humour, elle affectionn­e la science-fiction et le fantastiqu­e qui endossent l’apparence de la normalité. Un monde insolite qui passe par le quotidien et transpire dans les atmosphère­s. « J’aime les choses invisibles, ce qui laisse de la place à l’imaginatio­n du spectateur. Ce qui peut devenir très étrange tout à coup: un silence en trop, des regards, un malentendu…» Un malaise qui provient d’on ne sait où.

Tant de choses ne se voient pas, rappelle-t-elle. Comme les pensées. «Ça vient d’où, les idées? Pour moi, c’est bien mystérieux. Parfois j’ai l’impression qu’elles ne viennent pas de moi. La création, je trouve ça très mystérieux aussi. Et d’un autre côté, non, parce qu’il suffit d’écrire. C’est à la fois un acte [issu de la volonté] et quelque chose qui provient de l’inconscien­t. »

Chaos créatif… ou pas

C’est justement de création dont traite La conférence, une performanc­e théâtrale qui sera jumelée le 11 août au monologue poétique de Rose Eliceir y, Là où fuit le monde en lumière. Dans cette fiction aux allures de conférence, une auteure (Raphaëlle Lalande, l’une des membres du Projet Bocal) tente de parler de sa méthode créative, entourée par les soins de deux assistants (Éric Bernier et Karine Gonthier-Hyndman) qui l’accompagne­nt partout. «Elle a du mal à s’occuper des choses concrètes de sa vie quand elle crée.»

Un sentiment qu’Amélie Dallaire partage: «La création, c’est vraiment dur. On aimerait faire juste ça, mais il y a aussi la vie quotidienn­e.» Elle-même trouve difficile de mener de front «ses trois vies» d’auteure, de mère et de barista dans un café sans se perdre dans le chaos ainsi engendré.

Éprouvant pour le réel, le chaos peut pourtant être créatif en art. La dramaturge s’avoue très inspirée par le désordre. «Pour moi, la création, c’est tellement chaotique. J’ai du mal à faire des plans quand j’écris une pièce. Puis survient un moment où je me dis: mais qu’est-ce que je veux dire? Parfois c’est douloureux parce que je ne sais pas toujours où je m’en vais. En même temps, la création c’est ça aussi.»

Sa difficulté à séparer les différente­s parties de sa vie, sa quête d’une structure pour organiser tout ça: La conférence vise à traduire ces sentiments, mais de manière impression­niste. Amélie Dallaire, qui affirme penser beaucoup au public quand elle écrit, cherche un équilibre entre définir certaines clés pour faciliter la compréhens­ion du spectateur et conserver une part de mystère.

En attendant de terminer sa prochaine pièce, issue d’une résidence accordée il y a un an par le festival qui se nommait alors Zone Homa, l’auteure a donc envie de créer un «drôle d’objet ». Même si elle nage dans le doute qui accompagne toute vraie création. «Je me sens vraiment en danger.» Avis aux spectateur­s aventureux. LA CONFÉRENCE Texte et mise en lecture d’Amélie Dallaire. Le 11 août, à la Maison de la culture Maisonneuv­e.

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 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Comédienne diplômée en 2006, Amélie Dallaire a fait ses gammes d’auteure grâce à la liberté informelle du Théâtre tout Court.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Comédienne diplômée en 2006, Amélie Dallaire a fait ses gammes d’auteure grâce à la liberté informelle du Théâtre tout Court.

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