Le Devoir

Les femmes matent Don Giovanni

Ce second spectacle du Festival d’opéra de Québec permet de jauger de jeunes voix

- CHRISTOPHE HUSS

FESTIVAL D’OPÉRA DE QUÉBEC Mozart: Don Giovanni. En collaborat­ion avec Jeunesses musicales Canada. Richard Coburn (piano). Mise en scène : Oriol Tomas. Direction musicale: Louise-Andrée Baril. Théâtre de la Bordée, lundi 31 juillet 2017. Reprise mercredi. En tournée au Canada du 26 octobre au 3 décembre 2017, et du 29 mars au 24 avril 2018.

Le Festival d’opéra de Québec avait pris l’habitude de présenter un spectacle plus «modeste» en marge de sa grosse production. Le passage de Mozart vu par Peter Brook ou de Powder Her Face de Thomas Adès au rodage de la production missionnai­re des Jeunesses musicales destinée à apporter dans quelques mois l’opéra à Bouctouche, Baie-Comeau, Caraquet, Port-Cartier ou Amos, est un ressac assez brutal et assurément pas une quintessen­ce de « festivalis­me » exacerbé pour notre capitale nationale.

L’occasion reste cependant belle de faire une revue d’effectifs de jeunes voix canadienne­s. Avons-nous entendu de futures grosses vedettes ? Je ne pense pas. Mais la distributi­on est bien et logiquemen­t montée, notamment dans le rapport de timbres entre Don Giovanni (Geoffroy Salvas) et Leporello (Dominic Veilleux), et l’égalité de puissance entre Anna (Susan Elizabeth Brown) et Elvira (Odéi Bilodeau).

Les femmes emportent le morceau, notamment la Donna Anna de Susan Elizabeth Brown, d’un redoutable impact. Il est vrai qu’elle a le rôle le plus intéressan­t puisque le metteur en scène, Oriol Tomas, la suggère consentant­e à l’assaut initial de Don Giovanni. Elle ment donc à son fiancé Ottavio (Sebastian Baboczki) et culpabilis­e pour la mort de son père. Odéi Bilodeau, en Elvira trompée et bafouée, a une voix tout aussi bien projetée. Quant à Cécile Muhire, Zerlina lui va à ravir. La ligne de chant est belle, et le timbre très rond.

Le bilan masculin est plus partagé. À pleine puissance, tout le monde semble à sa place. Mais le défi, notamment pour Sebastian Baboczki et Scott Brooks (Masetto et le commandeur), est ce qui reste du timbre à mi-voix. Baboczki semble mal à l’aise dans Mozart, de manière générale, et Brooks, formidable dans sa partie confortabl­e du registre, devra développer ses graves.

Le tandem Salvas-Veilleux fonctionne bien. Ici aussi, le chant le mieux déployé dans l’Air du champagne pour l’un ou l’Air du catalogue pour l’autre, est le plus convaincan­t et sans être des Dupuis, Sly ou Bintner, les deux larrons, qui ont beaucoup d’aplomb, raviront les foules en tournée.

Le spectacle, accompagné au piano, est transposé sur un bateau et met en scène un Don Giovanni «bum». Les décors, simples et coulissant­s, répondent au besoin d’être transporté­s facilement d’une ville à l’autre. La mise en scène comporte des idées amusantes (le commandeur en scaphandri­er) et des incohérenc­es: comment un 1er acte qui se finit par une prise d’otage armée peut-il engendrer les rapports existant dans le livret entre les personnage­s au 2e acte?

Pour rendre Don Giovanni plus digeste aux néophytes, l’équipe de production a largement coupé dans l’oeuvre, mais avec pragmatism­e, sans trop la défigurer, à part la privation de la scène finale, le spectacle s’achevant sur la mort de Don Giovanni.

Parmi les éléments fort peu festivalie­rs, on citera le piano désaccordé et la soprano que l’on entend des coulisses faire ses vocalises pendant l’ouverture.

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