Le Devoir

Les demandeurs d’asile affluent à la frontière

Le poste-frontière de Lacolle et les centres d’hébergemen­t de Montréal sont débordés

- SARAH R. CHAMPAGNE

Le nombre de demandeurs d’asile qui tentent de franchir la frontière à pied a grimpé en flèche depuis le début du mois de juillet, surtout originaire­s d’Haïti. Face à cet afflux soudain, plusieurs centres d’hébergemen­t temporaire­s ont été aménagés, dont environ 150 places au Stade olympique mercredi.

Environ 500 demandeurs d’asile ont emprunté le chemin Roxham, tout près de Saint-Bernardde-Lacolle, pour la seule journée de mardi, affirme le Syndicat des douanes et de l’immigratio­n. Les arrivées de juillet seraient au moins le double des moyennes pour les mois précédents, calcule son président, Jean-Pierre Fortin.

Des estimation­s appuyées par le personnel de la Maison d’Haïti et le maire Denis Coderre, mais que l’Agence des services frontalier­s du Canada (ASFC) ne pourra confirmer qu’à la mi-août.

Entre janvier et fin juin de cette année, ils ont été au total 3350, toutes nationalit­és confondues, à avoir été intercepté­s au Québec par la Gendarmeri­e royale du Canada (GRC).

Des demandeurs d’asile étaient logés jusqu’à présent dans des hôtels, des YMCA et aux résidences universita­ires de l’UQAM. Mais ces endroits débordent maintenant face à cette « demande accélérée », a affirmé sur les ondes de plusieurs radios mercredi matin Francine Dupuis, une responsabl­e du Programme régional d’accueil et d’intégratio­n des demandeurs d’asile (PRAIDA).

Deux autobus avec des demandeurs à loger se sont ainsi engouffrés dans le Stade olympique par la porte appelée «Marathon».

Une ironie que ne manque pas de noter Peggy Larose, intervenan­te en accueil et intégratio­n de la Maison d’Haïti dans le quartier Saint-Michel. «Il y en a qui ont fait énormément de chemin, en effet. J’ai entendu toutes sortes d’histoires, dont une dame qui dit avoir marché cinq jours au total. »

Vers un «meilleur» nord?

Au moins une cinquantai­ne de Haïtiens d’origine ont cogné aux portes de l’organisme dans les dernières semaines.

«Je pense qu’il y a un vent de panique aux États-Unis comme quoi on va les expulser», expose d’abord la directrice de la Maison d’Haïti, Marjorie Villefranc­he.

Ce sont 58 000 Haïtiens qui avaient obtenu l’autorisati­on d’immigrer aux États-Unis à la suite du tremblemen­t de terre de 2010. Or, depuis son arrivée au pouvoir, le président Donald Trump menace de leur retirer ce statut de protection temporaire à partir de janvier 2018.

«D’autres ont fait un périple encore plus long depuis le Brésil», poursuit Mme Villefranc­he. Là encore, après avoir trouvé des papiers temporaire­s et des emplois dans la foulée des grands chantiers de la Coupe du monde de soccer et des Jeux olympiques, les Haïtiens d’origine se retrouvent le bec à l’eau. «Ce sont surtout des familles et de jeunes personnes qui tentent leur chance », affirme la directrice.

Dans le hall de cet organisme, l’odeur de nourriture est familière, mais le pays est neuf.

Geneviève, jeune trentenair­e, est arrivée le 26 juillet dernier depuis le Brésil — un périple qui lui aura pris plus d’un mois. «Mon seul espoir était de venir ici. J’avais consulté un avocat aux États-Unis », résume-t-elle sans vouloir détailler. Elle a deux enfants restés en Haïti, mais elle est arrivée seule.

Yvans, dans la trentaine lui aussi, a laissé son entreprise derrière lui après avoir reçu des menaces, affirme-t-il. Après avoir atterri aux ÉtatsUnis, il a pris un taxi depuis Plattsburg­h vers le chemin de Roxham, entre Hemmingfor­d et Saint-Bernard-de-Lacolle. «Je voudrais me refaire ici», lâche-t-il, porte-documents au bout des bras.

La diaspora se mobilise

Des personnes d’au moins une dizaine de nationalit­és ont franchi la frontière canadienne pour demander l’asile dans les dernières semaines. Mais devant cet autre centre d’hébergemen­t de l’est de Montréal, les jeunes Haïtiens sont en majorité.

Des gens en voiture s’arrêtent pour récupérer des membres de leur famille élargie. « Je vais essayer de trouver des draps », « et moi, des jouets pour les enfants » : quelques membres de la communauté haïtienne se mobilisent déjà pour montrer leur soutien. « On reçoit des appels de plus en plus pour savoir ce qui se passe et savoir quoi faire pour aider», confirmait plus tôt Marjorie Villefranc­he à la Maison d’Haïti.

« L’urgence sera de les loger », insiste Jean David Prophète, instigateu­r de la journée de la diaspora haïtienne. Les personnes ainsi réunies remettent aussi les choses en perspectiv­e : la situation n’est pas sans rappeler les arrivées massives de Haïtiens durant le règne de George W. Bush. « Après plusieurs années aux États-Unis, retourner en Haïti, c’est retourner dans un pays qu’on ne reconnaît plus», dit une dame d’origine haïtienne qui ne souhaite pas être nommée.

Christine, jeune mère haïtienne, sort de cet autre centre d’hébergemen­t. Elle vient prendre l’air avant la pluie. «Les douaniers m’ont bien traitée. Ils m’ont dit que j’avais droit à un avocat et ils ont même tenu mes bagages», se rassure-t-elle. Ses deux garçons ne souhaitent pas rester, dit-elle, mais ils seront patients.

Réactions politiques

Le maire Denis Coderre a également tenu à réitérer son engagement, qualifiant l’accueil de réfugiés haïtiens de «geste humanitair­e» sur Twitter. Il assure que le Bureau d’intégratio­n des nouveaux arrivants à Montréal (BINAM) «contribue activement à trouver des solutions d’hébergemen­t et d’accueil pour les demandeurs d’asile ».

La ministre provincial­e de l’Immigratio­n, Kathleen Weil, tient également un point de presse jeudi matin pour dresser un état de la situation.

Le Syndicat des douanes et de l’immigratio­n aimerait quant à lui voir l’ASFC « prendre les mesures nécessaire­s», dont l’embauche d’agents supplément­aires, pour faire face à cette « explosion » des demandes, dit son président, Jean-Pierre Fortin. L’agence reconnaît que les choses se bousculent, et assure s’ajuster « quotidienn­ement », dit une porte-parole au Devoir.

Pendant ce temps, on déplie des lits supplément­aires. Autour du Stade olympique, des touristes butinent l’été à l’ombre du mât. Leur accent, lui aussi étranger, résonne entre le Biodôme et le Planétariu­m, mais, contrairem­ent aux familles qui dormiront à l’intérieur du Stade aujourd’hui, ils n’ont eu qu’à présenter leur passeport à la frontière pour poser leurs valises.

Le maire Coderre a qualifié l’accueil de réfugiés haïtiens de «geste humanitair­e » sur Twitter

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR L’arrivée massive de demandeurs d’asile a forcé l’ouverture de centres temporaire­s d’hébergemen­t, notamment au Stade olympique.

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