En attendant la fin des travaux…
L’art adoucit les moeurs… et atténue les désagréments d’un chantier à Saint-Henri
Traverser un chantier? C’est un parcours du combattant, estime Marc Antoine K. Phaneuf. Ou une aventure héroïque, aventure que l’artiste a mise en mots, et sur les trottoirs, autour des travaux de réfection de la rue Notre-Dame Ouest, dans le quartier Saint-Henri.
« Mon idée est de faire un clin d’oeil au quidam qui passe par l’épreuve du chantier. Quand on traverse les travaux, on en sort grandi, on a vécu une histoire», explique celui qui est aussi poète, publié chez Le Quartanier.
Son parcours littéraire, exposé sur des panneaux réversibles, un côté bleu, un côté vert, fait mouche sur les réseaux sociaux. Il faut dire que le ton sarcastique semble faire du bien aux citoyens-internautes, qui se retrouvent dans des phrases comme celle-ci:
«Marcher à Montréal sera un sport à l’essai aux Jeux olympiques de Pyeongchang en 2018.»
« Le côté [vert], dit Phaneuf, c’est un rassemblement des réflexions libres, comme le chaos sur Internet, où tout le monde a un point de vue, a un commentaire, qu’il fait avec humour et de manière détachée.»
Garder le moral
«Personne ne me croit, mais c’est vraiment le plus gros chantier que j’aie jamais vu», lance Robert Laramée, qui dirige depuis janvier la Société de développement commercial (SDC) du secteur, baptisée Les Quartiers du Canal. L’ancien conseiller municipal, de 1994 à 1998 et de 2001 à 2005, sait que ces travaux de réfection d’égouts, de réaménagement de surface et de réseau électrique sont un mal nécessaire. «Il faut garder le moral, dit-il, car on aura la plus belle rue. Ce sera magnifique.»
Les travaux ont débuté en avril et ne devraient pas dépasser l’automne. Selon le directeur général de la SDC, les chiffres d’affaires des commerces ont été affectés jusqu’à maintenant dans une proportion de 25 à 50%. La gérante d’un restaurant de déjeuners a notamment constaté une diminution de la clientèle en semaine. « Le lundi, donne-t-elle comme exemple, on peut servir 130 clients. Depuis trois semaines, ça tourne autour de 70.»
C’est pour apaiser les pires craintes que Robert Laramée a pensé à se tourner vers l’art. Il n’y a pas que les séries Remarques éparses et Quête grandiose de Marc Antoine K. Phaneuf. Le secteur de la rue Notre-Dame affecté par le chantier, entre l’avenue Atwater et la rue Saint-Augustin, sera animé d’ici l’Halloween par des photos, de la peinture et d’autres interventions urbaines ou performatives.
L’organisme Art souterrain a été mandaté pour monter l’exposition Déviation, qui prend racine autant dans des locaux vacants que sur le mobilier du chantier. Le producteur de peintures murales Montréal en art et MusiMétro-Montréal sont aussi partenaires de l’aventure.
La réalisation de Déviation et du reste de la programmation a bénéficié d’une partie des 100 000$ que la SDC a reçus de la Ville de Montréal, dans le cadre du volet «Artère en chantier» du Programme Réussir à Montréal (PRAM), mis en place en 2015.
«Une aide financière totalisant 2,7 millions [est] disponible aux regroupements de gens d’affaires ou aux SDC pour favoriser la mobilisation de la communauté d’affaires, attirer le client, aménager les vitrines, recruter de nouveaux commerçants et relancer les affaires à la fin des travaux », résume le descriptif en ligne du PRAM – Artères en chantier.
Accepter le chantier
L’art est-il un baume? Quelque part, répond Marc Antoine K. Phaneuf, qui vise à « mettre un peu de magie dans la tragédie ». Pour Robert Laramée, la culture est un aimant qui ramènera, souhaite-t-il, les gens de l’extérieur du quartier.
«Il fallait mettre en relief cette réalité d’un Montréal insupportable, d’une rue commerciale impossible à gérer. Il fallait virer ça en dérision, croit-il. Quoi d’autre que l’art pour ajouter de la beauté, de l’étonnement, dans le laid, le bruit, la poussière?»
Sa volonté, assure l’homme, pragmatique, « n’est pas de nier le chantier, mais de l’animer ».
Les défis face à un chantier sont les mêmes d’un arrondissement à l’autre. La SDC de la rue Saint-Denis a cependant eu l’attitude contraire en concevant La Grande Terrasse rouge, un immense aménagement qui prolongeait le trottoir en 2015 et en 2016.
«L’objectif était de détourner l’attention des passants, dit Mathieu Lemay, chargé de projet à la SDC. Détourner l’attention vers l’humour pour faire changer les idées. »
La Ville de Montréal s’est occupée de la construction de la terrasse, et le regroupement des commerçants s’est chargé d’y proposer des espaces jeu ou de détente. Dans le cadre du PRAM, la SDC a reçu 60 000$ par année, dont une partie a même servi à un événement de sculptures sur glace.
Mathieu Lemay assure que la terrasse a connu du succès, surtout en 2016 quand la signalisation a été améliorée, mais il reconnaît que ce genre d’exercice est un « couteau à double tranchant ». «On doit s’occuper des commerçants et, là, on s’occupait de la terrasse rouge.» Les restaurateurs n’ont en effet pas aimé de ne pas pouvoir y vendre leurs produits.
Actuellement, six autres associations commerciales bénéficient du PRAM, dont celle de la rue Laurier Ouest qui a profité d’un terrain vacant pour y aménager un jardin et y offrir des ateliers d’horticulture, des cours de cuisine et des récitals de piano.
La SDC Les Quartiers du Canal se démarque cependant par l’audace d’un programme basé sur l’art contemporain. Robert Laramée peut confier qu’il avait rêvé de projets plus punchés, il reconnaît être servi avec ce qu’il a obtenu. Les travaux ont été une source de créativité.
«Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable » : cette référence au titre d’un livre de Romain Gary, recyclé pour l’occasion par Marc-Antoine K. Phaneuf, ne pouvait mieux résonner que chez les piétons qui traverseront le chantier.