Le Devoir

La rencontre musicale des artistes autochtone­s et allochtone­s

Avec Nikamotan MTL, Musique nomade fait se rencontrer des artistes autochtone­s et allochtone­s lors d’une grande fête musicale

- SOPHIE CHARTIER

Que ceux et celles qui sont en mesure de nommer cinq auteurs-compositeu­rs-interprète­s autochtone­s contempora­ins lèvent la main. Ah voilà. Pourquoi est-ce si difficile? Nos scènes et nos ondes ont un gros problème de représenta­tion, avancent les artistes qui prendront part vendredi au grand spectacle de Musique nomade, intitulé Nikamotan MTL.

Par un bel avant-midi ensoleillé, la poète innue Natasha Kanapé Fontaine, le rappeur Dramatik et Fab, tiers du groupe Random Recipe, se sont rassemblés pour parler de Nikamotan MTL et de Vélo Paradiso, projet multidisci­plinaire piloté par le Wapikoni mobile et son penchant musical, Musique nomade. Les trois artistes avaient été recrutés en 2016 pour pondre une chanson originale, jumelés entre créateurs autochtone­s et non autochtone­s. Rapidement, le sujet bifurque vers l’absence des peuples autochtone­s du grand radar de la culture pop.

«Je n’ai jamais vu un projet comme [Vélo Paradiso] se faire, commente Natasha Kanapé Fontaine. Mais c’est maintenant, au [moment du] 375e que ça se fait. C’est des choses qui auraient dû se faire depuis des années… »

Au total, Musique nomade a constitué quatre duos : Random Recipe a été invité à travailler avec Natasha, Laura Niquay a rencontré Sunny Duval, Dramatik a composé avec Matiu et Esther Pennell a collaboré avec La Bronze. Ils ne se connaissai­ent pas, ils ont appris à s’apprivoise­r par la musique.

Quatre chansons bien différente­s et personnell­es sont nées de ces interactio­ns, à partir desquelles le Wapikoni a pondu des vidéoclips rendant hommage aux quartiers de la métropole. Les courts métrages sont projetés dans les parcs de la ville jusqu’au mois d’octobre. Il s’agissait de l’offrande de Musique nomade et du Wapikoni aux célébratio­ns du 375e. Le projet veut célébrer la ville, mais ne manque pas au passage de spécifier que ce lieu est habité depuis bien plus longtemps que 375 ans.

Lutter avec le sourire

Le grand spectacle annuel de Musique nomade, qui est présenté chaque année dans le cadre de Présence autochtone a donc été consacré à ces collaborat­ions cette année, et a été baptisé Nikamotan MTL, ou «chantons ensemble», en langue attikamek.

Question, justement, de donner une belle grande place à ces artistes bourrés de talent qui restent trop souvent dans l’ombre. Pourquoi on ne s’y intéresse pas plus, demandent les participan­ts de Nikamotan MTL ?

«Les gens, les sujets, on les met dans des catégories et on ne les mélange pas, ajoute Natasha Kanapé Fontaine. Je connais des artistes d’ici qui chantent depuis dix ans. Ils n’arrivent pas à percer parce qu’il y a plein de producteur­s qui pensent qu’ils ne sont pas rentables. » Elle donne l’exemple de Shauit, un artiste reggae innu qui fait partie de l’écurie Musique nomade et qui roule sa bosse depuis une décennie. «Il commence tout juste à percer», s’insurge la poète.

Dramatik, qui signe la pièce Je gratte le ciel, un habile mélange de folk et de rap, signé avec le chanteur Matiu, originaire d’Uashat Mani-Utenam, en veut aux grands décideurs de l’industrie musicale. «Beaucoup de gens acceptent les étiquettes qu’on veut imposer aux artistes, commente le rappeur. Mais quand tu veux faire un rap qui est conscient, intelligen­t, qui parle de quelque chose, y’a toujours des gens qui vont vouloir te mettre le mute. Si j’ai mal, il faut que je pleure aussi. Il faut que j’aie la chance de crier.»

Dramatik tient à rassurer les fêtards, toutefois. Il est possible de parler de ces choses difficiles qu’ont traversées les peuples autochtone­s avec le sourire, en chantant, en dansant. «On n’est pas là pour la vengeance et le sang. Je m’appelle Dramatik, mais des fois, je fais des barbecues», ajoute-t-il à la blague.

Fab de Random Recipe, qui a créé la chanson Tiotiake, un beat très hip-hop portant les mots percutants de Natasha, abonde. «C’est la meilleure des armes, je crois, commente-telle. La meilleure chose qui peut se passer vendredi, et toute la durée de Présence autochtone, c’est que les gens participen­t, que les gens soient de bonne humeur. Et que les gens chantent ce qu’ils ont à chanter au plus profond d’eux. Peu importe les background­s, au fond. C’est une célébratio­n humaine.»

Retour à la base

Fab en profite pour faire l’apologie de la plateforme de Musique nomade. «Il y a tellement d’artistes géniaux que je ne connaissai­s pas! Souvent, en tant que band, tu vas te demander ce sera quoi ton prochain challenge. Mais pas besoin d’aller super loin, on peut revenir ici, se faire proposer de faire des choses avec des artistes locaux qu’on ne voit pas souvent.»

Natasha, ne mâchant pas ses mots, reprend la balle au rebond: « Je vois tout le branlebas pour le reste du monde, surtout autour du 375e… mais pour ceux qui viennent d’ici et qui sont passés à travers plein de choses, il reste quoi? Des bouchées de pain. Mais nous, les autochtone­s, on est toujours prêts à tendre la main, à collaborer, malgré tout ce qu’on a vécu. Et ça donne des chansons extraordin­aires.»

NIKAMOTAN MTL Dans le cadre de Présence autochtone, avec Random Recipe, Natasha Kanapé Fontaine, Laura Niquay, Sunny Duval, Matiu, Dramatik, La Bronze, Esther Pennell. À la place des Festivals vendredi à 21 h.

 ??  ??
 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Le rappeur Dramatik, Fab, tiers du groupe Random Recipe, et la poète innue Natasha Kanapé Fontaine veulent célébrer Montréal, mais soulignent au passage que ce lieu est habité depuis plus que 375 ans.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Le rappeur Dramatik, Fab, tiers du groupe Random Recipe, et la poète innue Natasha Kanapé Fontaine veulent célébrer Montréal, mais soulignent au passage que ce lieu est habité depuis plus que 375 ans.

Newspapers in French

Newspapers from Canada