Québec évalue la valeur patrimoniale du Cyclorama
Québec pourrait se porter acquéreur de l’attraction religieuse
U« C’est comme » un cadeau empoisonné Marc-Alain Tremblay, collectionneur montréalais d’art religieux
ne cinquantaine d’universitaires et d’artisans du milieu du cinéma réclament la prise en charge gouvernementale et la classification comme monument historique du Cyclorama de Jérusalem, un bâtiment unique de Sainte-Annede-Beaupré, mis en vente pour 5 millions de dollars.
« Il faut que ce patrimoine collectif soit racheté par l’État à un prix juste et raisonnable», qu’il soit «maintenu sur son site et mis en valeur», insistent les signataires dans une lettre ouverte transmise au Devoir.
La famille Blouin, propriétaire de la rotonde depuis des générations, demande 5 millions pour le bâtiment sphérique, qui renferme le seul panorama religieux exposé en Amérique du Nord.
Mercredi, Le Devoir a visité les entrailles du monument singulier en compagnie de l’historien du cinéma Jean-Pierre Sirois-Trahan, instigateur de la lettre ouverte. «On pourrait en faire un musée du panorama et, surtout, expliquer pourquoi c’est un dispositif médiatique qui est si rare, si extraordinaire, si complexe», a-t-il suggéré.
Autour de lui, dans le coeur du Cyclorama, se déployaient les environs de Jérusalem, dominés par le Golgotha — là où le Christ a été crucifié, entre deux larrons. «Ça devrait être repris par le Musée des beauxarts et être transformé en musée du trompe-l’oeil», a encore proposé l’historien.
La fresque, de 110 mètres de longueur et de 14 mètres de hauteur, fascine. Et pas uniquement les touristes, qui entraient mercredi de façon régulière dans le bâtiment, situé à un jet de pierre de la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré. Certains d’entre eux avaient auparavant visité les cycloramas de Gettysburg et d’Atlanta, où l’on commémore la guerre de Sécession.
Un contenant pour le contenu
Isabelle Caron, agente de recherche et de planification à l’UQAM, a consacré son mémoire de maîtrise à l’oeuvre unique qu’est le Cyclorama. «Ce qui est particulier, c’est qu’elle a été faite pour aller dans un bâtiment à demeure, et que le bâtiment a été conçu expressément pour la toile. Donc, les deux vont ensemble», a-t-elle expliqué.
La fresque a été réalisée à New York à la fin des années 1880 d’après un modèle — aujourd’hui disparu — du peintre allemand Piglhein. Cet artiste s’était lui-même basé sur des photos et des relevés effectués en Terre sainte.
L’oeuvre a d’abord été exposée à Montréal entre 1889 et 1895, à l’angle des rues Sainte-Catherine et Saint-Urbain, dans une rotonde commandée par ses premiers propriétaires.
Faute de visiteurs, la structure circulaire a été vendue à Ubalde Plourde, un avocat de Québec, qui l’a transportée par bateau jusqu’à son site actuel. Le « cyclo » a été ancré sur pilotis, entre le chemin de fer et le quai de Sainte-Anne, afin de contrer les risques d’inondation. C’est toutefois la neige qui a abîmé la toile, en 1957, peu de temps après son acquisition par la famille Blouin.
« [Le Cyclorama de Jérusalem] est un cas singulier pour l’Amérique, parce qu’il est le seul qui développe un thème religieux et qui a été installé sur un lieu de pèlerinage religieux », a constaté Isabelle Caron lors de ses recherches.
Cependant, le Cyclorama n’a jamais été exploité par des religieux, demeurant en marge du sanctuaire officiel de la congrégation des Rédemptoristes.
Ces derniers n’ont d’ailleurs aucun intérêt pour le bâtiment, a confirmé la vice-rectrice du Sanctuaire Sainte-Anne-de-Beaupré, Assunta Bouchard. «Les pères n’en ont pas parlé du tout », a-t-elle dit.
Même si le Cyclorama leur était donné, ils ne sauraient qu’en faire. «La communauté est vieillissante, alors on veut mettre l’énergie à la bonne place, et la bonne place, c’est la basilique », a-t-elle déclaré.
Valeur patrimoniale
Le collectionneur montréalais Marc-Alain Tremblay, qui possède 2000 statues religieuses, est d’accord avec la proposition de classement du Cyclorama. Il soutient en revanche que la fresque n’a aucune valeur sur le marché.
«C’est comme un cadeau empoisonné», s’est-il désolé, en évoquant la nécessité pour l’acheteur de reconstruire un support circulaire pouvant l’accueillir. «Elle va avoir la même fin qu’une église, à moins qu’un miracle ne se produise», a-t-il prédit.
Le ministre de la Culture, Luc Fortin, a commandé une étude afin d’établir la valeur patrimoniale du Cyclorama. «La Loi sur le patrimoine culturel demande au ministre de classer les éléments qui ont une valeur patrimoniale nationale», a rappelé son attaché de presse, Karl Fillion.
Québec devra donc attendre cette évaluation pour prendre une décision, a-t-il laissé entendre.