Le Devoir

L’inaction ne peut plus durer. L’éditorial de Manon Cornellier.

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Mercredi, Statistiqu­e Canada a rendu publiques les dernières données sur la langue, et le portrait de la francophon­ie québécoise et canadienne qui en ressort est franchemen­t préoccupan­t. Il n’y a plus de place pour les lunettes roses.

Au Québec comme dans le reste du pays, le poids démographi­que des francophon­es diminue. La proportion de Canadiens de langue maternelle française est passée de 22 % à 21,3 % en cinq ans. Au Québec, elle a glissé de 79,7 % à 78,4 %. La proportion de ceux dont le français est la langue parlée à la maison a suivi la même courbe. Comme le note Statistiqu­e Canada, une forte immigratio­n entraîne inévitable­ment une hausse du pourcentag­e de gens qui ont une langue maternelle autre que le français ou l’anglais, ce qui contribue à la baisse du poids démographi­que des francophon­es et des anglophone­s. L’ampleur du phénomène n’est toutefois pas identique.

À l’extérieur du Québec, la proportion de Canadiens de langue maternelle anglaise est passée de 74 à 72,9% entre 2011 et 2016. À l’échelle du pays, la baisse n’est pourtant que de 0,4 point. Pourquoi? Parce qu’au Québec, la proportion de personnes de langue maternelle anglaise a crû de 0,6 point. L’anglais a aussi fait des progrès comme langue parlée à la maison (de 18,3 à 19,8 %), contrairem­ent au reste du pays.

Les facteurs expliquant cette situation seraient nombreux, nous dit-on, et n’auraient pas encore tous été identifiés. Chez Statistiqu­e Canada, on envisage quelques hypothèses, dont la migration interprovi­nciale, dont on connaîtra les chiffres à l’automne, ou encore des transferts vers l’anglais d’immigrants de la deuxième génération et des suivantes.

La faute n’en revient pas aux immigrants, qui, au Québec, optent en plus grande proportion pour le français. Le choix de tout immigrant est influencé par la société où il doit travailler, s’éduquer et se divertir. Si cette société fait peu ou pas d’efforts pour rendre attrayant, utile et nécessaire le français, les immigrants adopteront la langue qui les servira le plus souvent et immédiatem­ent au quotidien, en particulie­r pour gagner leur vie. Et au Québec, la très grande majorité des immigrants s’installent à Montréal, où l’anglais occupe une large place.

En juin, en réponse à une propositio­n du Parti québécois en vue de resserrer les règles permettant d’exiger la connaissan­ce de l’anglais pour occuper un emploi, le premier ministre Philippe Couillard avait accusé les péquistes d’agiter, quand les choses allaient mal de leur côté, «soit le chiffon identitair­e, soit le chiffon linguistiq­ue», afin d’alimenter un sentiment d’insécurité. «Ça va bien, le français, au Québec et au Canada», avait-il affirmé.

Espérons que ces données ébranlent cette trop grande confiance, en particulie­r à l’égard du marché du travail. Selon le Secrétaria­t à la politique linguistiq­ue, «la francisati­on des milieux de travail québécois demeure vitale pour l’avenir du Québec», car le fait de «pouvoir réussir économique­ment et socialemen­t “en français” reste encore la plus grande motivation à apprendre et à utiliser le français».

Le gouverneme­nt a débloqué des fonds en avril dernier pour la formation linguistiq­ue des immigrants, mais il n’a réinvesti que la moitié des sommes amputées précédemme­nt pour la francisati­on en milieu de travail. Cela ne suffit pas. Il faut aussi que les entreprise­s de moins de 49 employés (et de plus de 11) soient soumises aux exigences de la loi 101 et que des pressions soient faites sur Ottawa afin que les entreprise­s de compétence fédérale le soient aussi.

La situation des francophon­es vivant à l’extérieur du Québec est elle aussi inquiétant­e et exige un coup de barre. Réagissant aux données du recensemen­t mercredi, la Fédération des communauté­s francophon­es et acadienne a sonné l’alarme et rappelé le gouverneme­nt Trudeau à ses devoirs en exigeant « que le prochain plan d’action sur les langues officielle­s soit une réelle politique de développem­ent global plutôt qu’une liste d’initiative­s ».

Et que le fédéral se le tienne pour dit, ce ne sont pas les données sur le bilinguism­e qui pourront lui servir de paravent. Plus de 85 % des Canadiens bilingues sont concentrés au Québec et dans les régions limitrophe­s de l’Ontario et du NouveauBru­nswick. Comme l’écrit l’agence fédérale, «le Québec reste le principal moteur de la croissance du bilinguism­e au Canada entre 2011 et 2016 ».

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MANON CORNELLIER

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