Le Devoir

Un gène défectueux corrigé dans un embryon humain

Des spécialist­es canadiens de l’éthique clinique demandent à Ottawa de permettre de telles expérience­s

- AMÉLI PINEDA Agence France-Presse Le Devoir

Tandis qu’aux États-Unis des chercheurs viennent de corriger pour la première fois un gène défectueux dans un embryon humain, des spécialist­es canadiens de l’éthique clinique demandent à Ottawa de revoir sa loi pour permettre de telles expérience­s au pays.

Mercredi, une étude publiée dans la revue scientifiq­ue Nature révélait que des gènes porteurs d’une maladie cardiaque héréditair­e ont été modifiés dans des embryons humains avec succès grâce à une technique révolution­naire d’édition génétique.

«Il y a plusieurs maladies très graves qui sont causées par une mutation dans l’ADN. Des chercheurs ont développé la technique CRISPR Cas9 qui permet de corriger un “mauvais” gène, un peu comme si on utilisait un logiciel de traitement de texte. On coupe une série de lettres qui créeraient une faute d’orthograph­e et on la remplace par les bonnes lettres», explique Vardit Ravitsky, éthicienne et professeur­e à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (UdeM).

La recherche sur les embryons humains est strictemen­t encadrée, et il n’était pas question d’implanter ceux de l’étude dans l’utérus d’une femme pour entamer une grossesse. C’est pourquoi les scientifiq­ues ne les ont pas laissés se développer plus de quelques jours.

Ces travaux ouvrent potentiell­ement la voie à de grands progrès dans le traitement des maladies génétiques.

Mais pas au Canada, puisque la loi sur la procréatio­n assistée interdit la modificati­on du génome d’une cellule d’un être humain ou d’un embryon in vitro « de manière à rendre la modificati­on transmissi­ble aux descendant­s».

«Le cadre légal ne permet pas ce type d’expérience, et ce, même dans une optique médicale», explique Me Julie Cousineau, avocate et coordonnat­rice du Bureau de l’éthique clinique de l’UdeM. «Cela étant dit, on ne peut pas écarter que la loi soit révisée et, si c’est le cas, on risque de faire face à plusieurs enjeux. Si par exemple on le permet pour des raisons médicales, est-ce qu’on doit aussi tenir compte d’un scénario futuriste où on pourrait vouloir choisir la couleur des yeux de l’embryon?»

Un groupe d’expert, dont Mme Ravitsky fait partie, demande depuis janvier dernier à Ottawa d’ouvrir le débat sur les modificati­ons génétiques.

«C’est une technique extrêmemen­t prometteus­e. Si elle s’avère efficace, ce sera la médecine de l’avenir. On pourra prévenir des maladies graves. Selon nous, ce n’est pas raisonnabl­e de bloquer ce type de recherche », indique Mme Ravitsky.

La professeur­e estime que la population doit se prononcer sur cet enjeu qui soulève plusieurs questions d’éthique. «Il faut aussi éduquer les gens et leur expliquer qu’actuelleme­nt il n’est pas question de designer des bébés sur mesure, mais de déterminer si on peut en faire un usage responsabl­e.»

En 2015, une expérience similaire avait été menée, mais avec des résultats mitigés. Le phénomène de «mosaïcisme» (présence simultanée de gènes sains et défectueux dans l’embryon) n’avait pas pu être évité, ce que les chercheurs de la nouvelle étude ont réussi à faire.

À l’époque, la question de l’acceptabil­ité avait aussi été évoquée par le professeur Darren Griffin, de l’Université de Kent, cité par le Science Media Centre. Il se demandait s’il serait «moralement juste de ne pas agir si nous avons la technologi­e pour prévenir ces maladies mortelles».

En décembre 2015, un groupe internatio­nal de scientifiq­ues réunis par l’Académie américaine des sciences (NAS) à Washington avait estimé qu’il serait «irresponsa­ble» d’utiliser la technologi­e CRISPR pour modifier l’embryon à des fins thérapeuti­ques tant que des problèmes de sûreté et d’efficacité n’auraient pas été résolus.

Mais en mars, la NAS et l’Académie américaine de médecine ont estimé que les avancées dans ce domaine «ouvraient des possibilit­és réalistes qui méritaient de sérieuses considérat­ions». En France, un rapport parlementa­ire a exprimé une position similaire.

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