Le Devoir

Le Kurdistan irakien devant un référendum incertain

- KHALED SULAIMAN Écrivain et journalist­e québécois. A vécu au Kurdistan irakien entre 2009 et 2016.

Le 7 juin dernier, alors que la guerre contre Daech [NDLR: le groupe État islamique] tirait à sa fin à Mossoul, le président «non élu» de la région du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, a annoncé qu’il tiendra un référendum sur l’indépendan­ce du Kurdistan le 25 septembre. Cette annonce de Barzani, qui causa de multiples réactions dans le pays comme ailleurs dans le monde, découle de son rêve de devenir le fondateur de l’État du Kurdistan.

Bien que l’indépendan­ce soit le rêve historique du peuple kurde, l’annonce de Barzani, qui, malgré l’échéance de son mandat depuis 2015, reste au pouvoir comme président de facto, fait face à une forte opposition interne, politique autant que populaire. Des partis politiques, des hommes d’affaires et des intellectu­els au Kurdistan s’opposent à cette décision, parce qu’ils constatent que le référendum aura lieu dans une situation interne critique et sans le soutien de la communauté internatio­nale. Le projet d’indépendan­ce décuplera la crise politique actuelle.

Notez que les États-Unis se tiennent aux côtés du gouverneme­nt fédéral et ne soutiennen­t pas l’indépendan­ce. Les Américains ont affirmé clairement que l’essentiel à l’heure actuelle est la guerre contre Daech. De son côté, l’Union européenne considère que les actions qui ne sont pas favorables au dialogue entre le gouverneme­nt régional du Kurdistan et le gouverneme­nt fédéral causeront des pressions supplément­aires inutiles à ce moment critique, y compris les répercussi­ons régionales. Cela veut dire qu’un Irak uni est encore le centre d’intérêts de la communauté internatio­nale.

Reconnaiss­ance

La Turquie, quelle que soit l’amitié entre Barzani et le président Recep Teyyip Erdogan, a répété à maintes reprises qu’elle reste toujours contre un État kurde, «même en Afrique». Mais si elle l’acceptait, selon le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlut Cavusoglu, des conditions comme celles qui s’imposent dans la Chypre du Nord, non reconnue par la communauté internatio­nale, seraient applicable­s au Kurdistan aussi.

De l’autre côté, l’Iran n’a pas hésité à utiliser un langage menaçant contre l’affranchis­sement du Kurdistan. Selon les «mollahs», l’Irak est une oie qui pond des oeufs d’or. Ils utiliseron­t donc toutes leurs forces pour garder cette oie à leur service et éviter évidemment tout changement géopolitiq­ue dans la région.

Cette réaction iranienne, liée à un rapprochem­ent entre la famille royale saoudienne et celle de Barzani dans un sens, soi-disant sunnite, provoquera peut-être un conflit potentiel entre les milices chiites et les forces des peshmergas kurdes dans la province pétrolière de Kirkouk, pour autant que d’autres provinces apparaisse­nt sur la liste des territoire­s contestés.

Il y a d’autres raisons internes pour lesquelles de nombreux Kurdes s’opposent au référendum. L’une d’elles, c’est la famille de Barzani elle-même. Par son insistance à rester président, poste qui ne lui revient plus depuis 2015, Barzani cherche à établir un système politique présidenti­el qui lui donnerait un pouvoir absolu. Ainsi, il est bon de rappeler que le premier ministre, Nêçirvan Barzani, est son neveu et que le chancelier de la sécurité nationale, Masrour Barzani, est son fils.

Parlementa­risme

En 2015, le système politique au Kurdistan aurait dû évoluer vers un système parlementa­ire. Le président du Parlement, Youssif Mohammed, a voulu passer le projet de réforme, mais cela lui a coûté une expulsion d’Erbil et a provoqué la fermeture du Parlement. Toutes les autres institutio­ns élues démocratiq­uement étaient gelées ou contrôlées par le parti du président «non élu». Le modèle de la «démocratie kurde » est suspendu depuis ce temps-là.

Il faut, dans un tel contexte politique, mentionner l’absence du système judiciaire comme l’absence des médias indépendan­ts et profession­nels dans la capitale de la région, Erbil. Une telle absence permet aux forces de sécurité de s’attaquer aux journalist­es, aux activistes et aux opposants sans considérer la liberté d’expression et les droits de la personne.

En bref, puisque la situation économique au Kurdistan se trouve dans une impasse, une faillite totale n’est pas loin de s’imposer. La dette du gouverneme­nt est de 30 milliards de dollars américains, les fonctionna­ires ne reçoivent que 40 % de leurs salaires tous les deux mois, les services publics fonctionne­nt mal. Selon les opposants kurdes, l’origine de cette situation étouffante se trouve dans une politique semi-autoritair­e pratiquée par Barzani, qui a décidé unilatéral­ement d’exporter le pétrole sans le gouverneme­nt fédéral et sans compter les résultats.

Le Kurdistan se dirige vers un référendum. Il est difficile de prévoir un succès dans une telle situation, mais il n’est pas si difficile d’imaginer la naissance d’un État fragile comme celui du Soudan du Sud.

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