Un homme d’idées, de convictions et de projets
«Poète, philosophe, idéaliste, rêveur, croyant, humaniste, musicien, pédagogue et éveilleur », comme l’a décrit la musicologue Marie-Thérèse Lefebvre. Le compositeur Gilles Tremblay s’est éteint à l’âge de 85 ans le 27 juillet dernier. Être profondément engagé dans la société québécoise, il n’aura jamais hésité à se rendre disponible pour la défense des causes justes.
L’engagement de celui à qui le milieu musical québécois — et en particulier la Société de musique contemporaine, qu’il avait contribué à fonder en 1966 et dont il a été le directeur artistique de 1986 à 1988 — a consacré une série hommage durant la saison 2009-2010 se confirme à la lecture des écrits du compositeur, dans lesquels celui-ci livre de nombreux plaidoyers en faveur de la responsabilité collective de notre devenir musical et politique.
Le Conservatoire, l’«école d’État»
L’un des premiers plaidoyers du compositeur aura concerné le Conservatoire de musique de Montréal, où il devient professeur en 1962 et dont on envisage le déménagement dans un lieu qui, selon lui, ne convient guère à l’établissement créé par Wilfrid Pelletier en 1943.
Dans une lettre ouverte publiée dans le journal Le Devoir du 8 juin 1964, le compositeur s’insurge contre ce projet «aussi inimaginable que ridicule de déménager le Conservatoire de Montréal au Palais du Commerce» et ajoute qu’il «est urgent de manifester une énergique protestation […]. Pendant une période aussi importante et vitale dans l’histoire de Montréal et du Québec, et dans le contexte de la préparation de l’Exposition universelle “Terre des hommes”, l’image d’une telle absurdité aux yeux du monde et à nos propres yeux risquerait d’être l’illustration rétrograde de l’importance accordée à la culture au Québec. En période d’évolution, ce serait en outre un affront à la Musique, à la jeunesse, à notre nation ».
Si cette protestation n’a pas l’effet immédiat voulu et qu’il faut attendre jusqu’en 2009 pour que le Conservatoire soit convenablement logé sur le Plateau Mont-Royal, cette intervention illustre la volonté de l’artiste de s’inscrire dans le débat public et de s’engager dans la défense de l’«école d’État». Gilles Tremblay interviendra également en 1982 pour défendre le développement plus autonome du Conservatoire de Montréal et accordera son soutien en 2001 aux actions de la communauté des professeurs et étudiants dans le dossier de la relocalisation du Conservatoire de musique.
La radio d’État, une radio culturelle
La radio d’État, et en particulier la radio culturelle, ainsi que le lien entre la radiophonie et la musique auront été une préoccupation constante de Gilles Tremblay. Il présentera la radio comme un outil démocratique capable «d’animer le Québec» et «d’assurer une ouverture aux autres ».
Dans une autre lettre ouverte, parue dans Le Devoir du 19 juillet 2002, Gilles Tremblay commente la disparition de la chaîne culturelle de Radio-Canada : «Mais le plus troublant, c’est qu’une politique et des décisions sont adoptées prétendument dans l’intérêt du public, en catimini, donc en méprisant ce même public, comme si ces décideurs savaient ce qui est bon pour le public à la place de celui-ci. »
Les vues exprimées par Gilles Tremblay sur le rôle de la radio publique expliquent le soutien qu’il apportera successivement, en 2006 et en 2008, à deux mouvements destinés à maintenir, voire à créer, une radio culturelle au service de la musique et de la création musicale, soit le Mouvement pour une radio culturelle au Canada ainsi que le Mouvement Radio-Québec.
Dans ses réflexions sur le devenir musical du Québec, on voit que la commande d’État a tenu une place particulière dans la vie publique de Gilles Tremblay. Ayant composé quant à lui au moins 35 oeuvres à partir de commandes, émanant d’orchestres, d’ensembles et de radiodiffuseurs et de musiciens, tant nationaux qu’internationaux, il n’a pas moins plaidé en faveur d’un engagement plus important de l’État dans la commande d’oeuvres.
En recevant le prix Denise-Pelletier en 1991, il fait d’ailleurs un vibrant plaidoyer pour la composition et plaide pour une aide aux compositeurs sous forme de commandes d’oeuvres. Avec la générosité qui le caractérise, il affirme à cette occasion : « Puisqu’il y a symbole, je le partage avec tous mes collègues et amis compositeurs, des aînés aux plus jeunes dont la situation est non seulement difficile mais précaire. (Ne serions-nous pas devenus des bélugas culturels ?) Considérant ce symbole comme un signe prometteur, j’invite du même souffle le gouvernement du Québec à combler un vide inexplicable en matière d’aide à la composition musicale sous forme, entre autres, de commandes d’oeuvres.» Passant quant à lui de la parole aux actes, Gilles Tremblay fera d’ailleurs un don de 25 000$ à la SMCQ aux fins de commandes d’oeuvres.
Durant son parcours exceptionnel d’artiste et de citoyen, Gilles Tremblay a enrichi le Québec. Cet homme d’idées, de convictions et de projets aura été un homme d’exception que le Québec doit être fier de compter parmi les artisans de sa culture unique qui enrichit le patrimoine culturel de l’humanité. L’engagement de Gilles Tremblay doit inspirer la communauté musicale d’aujourd’hui et le Québec tout entier. Les mots du poète — et du croyant — qu’il fut décrivent d’ailleurs éloquemment le sens de ce service et la finalité de son engagement : « Surgissement de la Musique. Quelle joie et grand moment mystérieux! Il nous emporte vers un ailleurs encore plus mystérieux et joyeux. La composition est l’une des voies de ce mouvement. Voie de musique que chaque être humain peut ressentir et comprendre, dans la surprise éblouie de la multiplication des possibles, à contre-courant de la banalisation généralisée, dans l’exaltation à la fois enchantée et dramatique de la vie, dans l’élan en accord avec le geste Créateur : la Genèse au présent. »