Une subtile pénétration du territoire
Nous vivons tout de même une époque formidable. Malgré tout le ramdam naturo-sociopolitico-pété qui s’acharne à nous prouver le contraire. C’est vrai.
Les vins n’ont jamais été aussi bons et les gens aussi heureux d’en boire. Même les «vins boissons», à l’image des faits-qui-disent-des-menteries (fake news), réussissent avec succès le passage à l’illusion. Un peu plus et on se croirait dans un monde idéal.
Tenez, ça se passait dans Charlevoix, à moins que ce ne soit dans le Bas-duFleuve, pas plus tard qu’il y a deux jours. En retrait de ce ramdam qui fait fi de ce magnifique coin de pays. Est-ce au restaurant locavore de Maurice Dufour (Les Faux Bergers) ou à l’auberge du Grand Fleuve, à Métis, que j’ai entendu la nouvelle?
Toujours est-il que le «petit gris» de Bourgogne, ce fameux gastéropode qui en bave pour le beurre à l’ail, serait en mauvaise posture.
À tel point qu’il semble que le fameux escargot de Bourgogne ne serait plus affublé de ce nom que pour la forme, car l’ensemble de la production serait issu d’Europe Centrale, principalement d’Ukraine et de Hongrie.
De petites mains habiles se chargeant de les reloger dans leurs coquilles respectives pour leur fournir une apparence plus crédible. Est-ce à dire qu’il faudra les avaler avec un aligoté et un chablis d’Ukraine ou de Hongrie? Misère!
Tout fout le camp?
Pas si sûr. Ce trop bref séjour au-delà de la capitale nationale m’a fait prendre conscience que le Québec, lui, résiste à la délocalisation gastronomique.
Il me semble même que nos artisans de bouche s’affichent de plus en plus en région comme des ambassadeurs dont la production, à la fois originale et singulière, a tout pour faire baver d’envie cette fois le mollusque le plus déshydraté.
Que ce soit le vin de tomate de Pascal Miche à Baie-SaintPaul (La Loi d’Omerto), la Dominus Vobiscum ou La Vache folle de MicroBrasserie Charlevoix, les cidres de la Cidrerie Pednault à L’Île-aux-Coudres ou encore ce Charlevoyou rosé vinifié chez Maurice Dufour, pour ne citer que les liquides.
Plus que des produits, j’avancerais l’expression «investissements patriotiques », nés à la fois d’un sens aigu de la débrouillardise et d’une créativité foisonnante. Même perspective du côté des solides !
Rien ne fout le camp, au contraire. Il me semble même que cette subtile pénétration du territoire s’est accélérée depuis un quart de siècle.
Le vignoble québécois complète un premier cycle de maturité alors qu’il entreprend un virage qui semble très prometteur pour la suite. J’y perçois une meilleure compréhension des cépages hybrides, balisée par l’expertise d’artisans aguerris et prêts à livrer leur plein potentiel.
Quant aux cépages nobles, chaque millésime qui passe est source d’étonnement. Il y a encore du chemin à faire, mais il y a tout de même de quoi méduser le pisse-vinaigre.
L’oeno-gastro-tourisme carbure à fond, comme j’ai pu le constater, par exemple, lors d’une visite au vignoble SaintePétronille où blanc, rosé et rouge taquinaient une sensationnelle poutine au canard de chez Panache.
Pour ne rien vous cacher, j’en fais mon rendez-vous annuel. À voir les nombreux Québécois, mais aussi les touristes de passage, qui investissent les lieux, je ne suis pas le seul à m’y régaler.
Plusieurs me parlaient même de distilleries actives ou à venir. Faudra que je vous fasse un topo là-dessus la prochaine fois.
Le mouvement s’est aussi amorcé du côté de la restauration, où plusieurs agences promotionnelles avant-gardistes colonisent de plus en plus de cartes de vins, reléguant aux oubliettes Pisse-Dru, Cellier des Dauphins et autres Fontana di Papa incrustés sur place depuis au moins 1921.
Boire du Ganevat ou du Landron chez Colombe SaintPierre, au Bic, du Château les Jonqueyres au chic restaurant Vices Versa, à La Malbaie, ou un chablis Séguinot-Bordet à la table de l’auberge du Grand Fleuve, tout cela sans vous ruiner, est simplement un baume au coeur de l’homme qui boit bien.
Cette pénétration du territoire, pour ne pas dire cette recherche du territoire, n’estelle pas, après tout, une incursion dans ce pays intérieur chanté par les Vigneault, Lelièvre, Léveillée et autres Richard Desjardins de ce monde ? Là où les Québécois fouillent et cherchent pour mieux trouver et s’assumer ?
Une certitude demeure: difficile de revenir en ville à la suite d’une telle démarche. C’est à se demander si le rat des champs n’est pas plus heureux que le rat des villes!
Quelques vins
(18,90$ – 13287274). Ce tempranillo a libéré tout juste ce qu’il faut de couleur pour mieux infuser sa délicate mais franche personnalité.
Un rosé particulièrement vineux, mais aussi vivace, sec et tendre, doté d’une finale généreuse et structurante qui le destine aux légumes grillés, ceviche, salade de poissons (poké) et autres BLT. (5) ★★★
Le vignoble québécois complète un premier cycle de maturité et entreprend un virage qui semble très prometteur pour la suite Otazu Rosé 2016, Espagne Juvé y Camps Cava Reserva de la Familia 2013, Espagne
(22,25 $ – 10654948). J’adore le vin de Champagne. Mais je sais aussi reconnaître parmi d’autres méthodes traditionnelles ces cohérences entre cépages, terroirs et climats, que des générations de vignerons ont su discerner et mettre au monde avec leur doigté habituel.
Ce cava n’y échappe pas. J’ajouterais même qu’il confondrait plus d’un admirateur du pays de Dom Pérignon. Ce 2013 demeure étonnamment jeune et fougueux, bien sec sur le plan du dosage, ruisselant son fruité de pomme-poire-coing sous une salinité qui lui donne plus d’allant encore. Imbattable à ce prix ! (5) ★★★
(24,05$ – 11955005). Lapin, Boursin, boudin, crottin, il n’y manque que du requin pour combler la soif de cet auxerrois arrivé à sa pleine maturité avec près d’une décennie de bouteille.
Derrière la riche robe or avec ses reflets verts, des arômes de haute maturité confirmés en bouche par de la douceur bien sûr, mais aussi par une vivacité qui l’empêche de se faner et de flétrir. Remarquable finale, à la fois soutenue et de belle longueur. À ce prix, un «doux» qui ne fait pas de mal ! (5) ★★★1/2
(32,50$ – 12825835). Il existe des vinsvérité comme il se faisait à l’époque du cinéma-vérité. Des réalisations sans filet, aux témoignages directs et réalistes, à hauteur d’homme.
Ce bio encore très jeune livre pour le moment un fruité très pur, très net, derrière ses airs vivaces et croquants, mais ce n’est qu’illusion.
Malgré une puissance discrète, il y a tout de même une jolie structure tannique derrière. Vin de gastronomie à servir autour de 16°C sur un sauté de veau ou autres antipasti à base de charcuterie. (5+) ★★★1/2 ©
(48,75 $ – 10270178). Millésime délicat, il est vrai, en ce sens qu’il a fallu trier serré, mais le résultat ici ne déçoit pas. Cette maison a toujours su faire, dans un style plus élégant que substantiel et concentré.
Surtout un vin de nez, tels un nebbiolo ou un pinot noir qui auraient enrichi leurs parfums d’une pointe de marc de café, de rose et de réglisse. Côté palais, grande fraîcheur appuyant des tanins serrés, encore à se fondre. Vin de soir, vin de grande table, quand le soleil penche et vous livre déjà quelques confidences. (5+) ★★★1/2 ©
Jean Aubry est l’auteur du Guide Aubry 2017. Les 100 meilleurs vins à moins de 25$.
guideaubry@gmail.com
Pinot Auxerrois 2007, Rolly Gassmann, Alsace, France Teroldego Rotaliano 2014, Foradori, Italie Brunello di Montalcino 2012, Caparzo, Toscane, Italie