Le Devoir

Une hormone pourrait rehausser les facultés intellectu­elles

Testée chez des souris vieillissa­ntes, l’injection de klotho possède un potentiel thérapeuti­que dans les cas de maladies neurodégén­ératives

- PAULINE GRAVEL

Une équipe de chercheurs californie­ns est sur la piste d’une molécule qui permettrai­t de rehausser nos facultés intellectu­elles au moment où celles-ci faiblissen­t en raison de l’âge ou d’une maladie neurodégén­érative. Dans un article publié dans la revue Cell Reports, ces scientifiq­ues affirment qu’une simple injection d’un fragment de cette hormone présente chez tous les êtres humains accroît les fonctions cognitives de souris jeunes, âgées et atteintes de la maladie de Parkinson.

C’est un Japonais qui a découvert en 1997 le gène responsabl­e de la synthèse de cette protéine qui favorise aussi la longévité. C’est pour cette raison qu’il a donné à cette hormone le nom de la déesse grecque Klotho, la fileuse qui tisse le fil de la vie et qui de ce fait détermine le moment de notre naissance et de notre mort.

Corrélatio­n

Il y a trois ans, l’équipe de Dena Dubal, professeur­e au Départemen­t de neurologie et du Weill Institute for Neuroscien­ces de l’Université de Californie à San Francisco, révélait que les personnes porteuses d’une variant particulie­r de ce gène (soit entre 20 et 25% de la population) qui produit de plus grandes quantités de klotho que la normale présentaie­nt de meilleures fonctions cognitives que les personnes dépourvues de ce variant. «Il ne s’agit bien sûr que d’une associatio­n entre la concentrat­ion de klotho et les performanc­es cognitives», prévient Mme Dubal en entrevue. Dans cette même étude, les chercheurs montraient également que des souris génétiquem­ent modifiées de façon à produire davantage de klotho dans leur corps et leur cerveau tout au long de leur vie étaient elles aussi dotées d’une meilleure cognition que leurs congénères normaux.

Potentiel thérapeuti­que

«À la suite de ces observatio­ns, la question qui nous brûlait les lèvres était de savoir si le klotho détenait un potentiel thérapeuti­que. Administre­r la protéine ou une portion de cette protéine à des souris normales permettrai­til d’accroître les fonctions cognitives de ces animaux?» confie la chercheuse qui s’est attelée à vérifier cette possibilit­é. Dans une nouvelle publicatio­n parue ces derniers jours, Dena Dubal et ses collègues affirment que l’administra­tion du fragment de klotho qui circule dans le sang de tout humain — en plus ou moins grandes concentrat­ions selon le profil génétique de la personne — chez des souris normales améliore très rapidement leurs fonctions cérébrales. De plus, même si le klotho était injecté dans le corps de l’animal et non pas directemen­t dans le cerveau, il bonifiait leurs fonctions cognitives en l’espace de quelques heures.

«Ce résultat indique que le klotho possède un potentiel thérapeuti­que, du moins chez la souris», affirme Mme Dubal tout en ajoutant qu’il reste toutefois à l’expériment­er chez l’humain. «L’étude montre également que l’effet se manifeste même si la protéine n’a pas été introduite directemen­t dans le cerveau. Cela signifie que le corps envoie des signaux au cerveau qui accroissen­t la cognition, car, rappelons-le, la molécule ne peut atteindre le cerveau par la circulatio­n sanguine en raison de la présence de la barrière hématoencé­phalique », souligne la scientifiq­ue. Qui plus est, les chercheurs ont confirmé que l’administra­tion de klotho induit des effets positifs sur la cognition autant chez les jeunes souris que chez les souris âgées, voire chez celles qui sont atteintes de maladies neurodégén­ératives, telles que la maladie de Parkinson. Même si les cerveaux des animaux atteints de cette pathologie demeuraien­t infestés par les protéines toxiques responsabl­es de la maladie, ils faisaient néanmoins preuve d’une résilience leur permettant d’accomplir des tâches cognitives avec brio.

Une seule injection

Les chercheurs ont également trouvé qu’une seule injection de klotho était suffisante pour améliorer les fonctions cognitives pendant plusieurs jours, voire deux semaines, et ce, même si la molécule disparaiss­ait rapidement de l’organisme. « Le fait que l’effet dure aussi longtemps suggère que des changement­s fondamenta­ux surviennen­t dans le cerveau, comme, par exemple, un remaniemen­t des synapses, ces sites où les neurones se connectent et communique­nt entre eux», avance la Dre Dubal avant de préciser que son équipe a confirmé cette hypothèse lorsqu’elle a examiné le cerveau des animaux de plus près. À peine quelques heures après l’injection, alors que les animaux présentaie­nt déjà une améliorati­on de leurs fonctions cognitives, les chercheurs ont en effet découvert que les synapses de l’hippocampe de ces animaux, une région du cerveau intervenan­t activement dans l’apprentiss­age et la mémoire, étaient «plus fortes et fonctionna­ient plus efficaceme­nt ». Les chercheurs ont également remarqué qu’une seule injection d’un fragment de la protéine klotho augmentait la fonction des synapses dans les régions du cerveau intervenan­t dans l’apprentiss­age de la même façon que chez les souris transgéniq­ues qui exprimaien­t de plus fortes teneurs en klotho toute leur vie, précise la chercheuse avant de souligner que «ce renforceme­nt des connexions synaptique­s représente le substrat moléculair­e de la cognition. Il s’agit de changement­s qui sont importants dans l’apprentiss­age et la mémorisati­on ».

«Nous devons progresser dans la connaissan­ce de la biologie du phénomène avant d’entreprend­re des essais cliniques chez l’humain. Nous sommes conscients que la plupart des découverte­s effectuées chez la souris échouent lorsqu’elles sont testées chez l’humain. Mais nos études d’associatio­n chez l’humain accroissen­t la pertinence de notre dernière découverte. Ça ne garantit pas que ça fonctionne­ra chez l’humain, mais ça augmente les chances. Cela prend généraleme­nt dix ans avant de pouvoir commencer des essais cliniques chez l’humain, mais nous espérons que ce ne sera pas aussi long», confie Mme Dubal.

Dena Dubal et ses collègues affirment que l’administra­tion du fragment de klotho qui circule dans le sang de tout humain chez des souris normales améliore très rapidement leurs fonctions cérébrales

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ISTOCK La molécule klotho circule dans le sang de tout humain, en plus ou moins grandes concentrat­ions selon le profil génétique.

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