Le Devoir

Statistiqu­e Canada révisera les résultats sur la langue

Les données sur les francophon­es hors Québec pourraient aussi être erronées

- MARIE-LISE ROUSSEAU

Statistiqu­e Canada a reconnu vendredi avoir publié des données erronées sur la langue dans les résultats du plus récent recensemen­t. Ces erreurs pourraient également concerner les communauté­s francophon­es de l’extérieur du Québec.

Une erreur informatiq­ue a influé sur les réponses d’environ 61 000 citoyens ayant rempli leur questionna­ire de recensemen­t en français, a expliqué l’agence nationale de statistiqu­es vendredi.

Des données révélées par Le Devoir et The Gazette jeudi jetaient une ombre sur ce volet crucial du recensemen­t. Les chiffres indiquaien­t que la population de langue maternelle anglaise avait augmenté de façon importante dans une vingtaine de régions métropolit­aines

du Québec pourtant fortement francophon­es.

Ces données, qui touchent 0,17 % de l’ensemble du recensemen­t, seront corrigées, a promis l’agence. De premiers résultats doivent être publiés dès la semaine prochaine. « J’ai bon espoir qu’on aura quelque chose mercredi ou jeudi»,a avancé le directeur général du programme de recensemen­t de Statistiqu­e Canada, Marc Hamel, en entrevue au Devoir.

Ce genre d’erreur est « très rare, mais pas impossible », souligne-t-il. M. Hamel précise que celle-ci a été commise lors de la conversion de données dans un programme informatiq­ue. « Le choix de réponse concernant la langue maternelle a été inversé dans certains cas.»

Pourtant, des vérificati­ons rigoureuse­s ont systématiq­uement lieu avant la publicatio­n de données afin de détecter toute anomalie. « Malgré ces vérificati­ons, cette erreur s’est glissée, c’est malheureux», concède M. Hamel.

«Nos processus sont conçus pour détecter ce genre de chose, mais ça ne nous a pas sauté aux yeux », poursuit-il. Le directeur du programme de recensemen­t salue d’ailleurs «l’excellent travail d’analyse » du chercheur montréalai­s Jack Jedwab, président de l’Associatio­n d’études canadienne­s, qui a sonné l’alarme sur les résultats des anglophone­s du Québec après avoir fouillé les données mises en ligne le 2 août.

Inquiétude­s hors Québec

Marc Hamel n’a pas été en mesure de préciser d’où provenaien­t les 61 000 répondants dont les données sont erronées, mais il a confirmé que ceux-ci ne sont pas nécessaire­ment tous du Québec.

Ce qui pourrait confirmer des doutes soulevés notamment par les chercheurs Martin Normand et Serge Miville, respective­ment de la Chaire de recherche sur la francophon­ie et les politiques publiques à l’Université d’Ottawa et de la Chaire de recherche en histoire de l’Ontario francophon­e de l’Université Laurentien­ne, à Sudbury. Les deux universita­ires se sont posé de sérieuses questions en consultant les résultats du recensemen­t sur les communauté­s francophon­es de ces deux villes.

Il a été impossible de vérifier les données concernant Ottawa et Sudbury vendredi, étant donné que Statistiqu­e Canada a retiré de son site Web les résultats sur les langues.

M. Normand se souvient toutefois d’avoir observé une forte hausse des répondants ayant le français comme langue maternelle dans la capitale canadienne. «Ce n’est pas impossible, mais le chiffre m’a surpris. Je n’arrive pas à l’expliquer », dit-il en entrevue au Devoir.

Son collègue a pour sa part été soufflé par les données de Sudbury. «Dès que je les ai vues, je me suis dit: “Il y a quelque chose de bizarre”», relate-t-il.

Les chiffres de cette ville ontarienne ne sont pas aussi surprenant­s que ceux révélés par Jack Jedwab, qui font notamment état d’une hausse de la population anglophone de 164 % à Rimouski, de 115% à Saguenay et de 110% à Drummondvi­lle. Mais la baisse d’environ 2500 individus dans une communauté de 42 000 habitants paraît énorme aux yeux du chercheur. «Je doute de la véracité de ces chiffres, c’est trop important comme changement.»

Des données semblables chez la population francophon­e auraient aussi été enregistré­es à Sault-Sainte-Marie et Timmins, avance M. Miville.

C’est pourquoi le chercheur ne serait pas étonné que des membres de ces communauté­s francophon­es de l’Ontario se retrouvent parmi les 61 000 questionna­ires erronés. «Ça expliquera­it bien des choses », dit-il.

La Fédération des communauté­s francophon­es et acadiennes a d’ailleurs fait part de son inquiétude à ce sujet à Statistiqu­e Canada vendredi.

Le départ de Smith soulevé

Le statistici­en Louis-Paul Rivest s’est dit étonné par la gravité de l’erreur commise par Statistiqu­e Canada. «C’est important, le recensemen­t », affirme-t-il.

Le professeur au Départemen­t de mathématiq­ues et de statistiqu­es de l’Université Laval se demande s’il n’y aurait pas un lien à établir avec la démission l’an dernier du statistici­en en chef de l’agence, Wayne Smith, qui avait claqué la porte pour dénoncer l’imposition du système informatiq­ue gouverneme­ntal à Statistiqu­e Canada. «Il y a quand même une coïncidenc­e un peu troublante, soutient-il. Il semble y avoir des problèmes au niveau des ressources informatiq­ues à l’interne.»

Ce que dément Marc Hamel. « Il n’y a pas d’associatio­n à faire. Services partagés Canada nous fournit les serveurs sur lesquels nos programmes roulent, mais ces derniers sont sous la responsabi­lité de Statistiqu­e Canada », assure-t-il.

Malgré la publicatio­n de données inexactes, la confiance de Jack Jedwab envers Statistiqu­e Canada n’est pas ébranlée. Le chercheur étudiera néanmoins attentivem­ent les nouveaux résultats, attendus la semaine prochaine. « On a tenu pour acquises les données parce qu’on a une confiance entière en cette agence», souligne-t-il.

Jeudi, la commissair­e aux langues officielle­s

«Dans

les communauté­s minoritair­es, dès que quelque chose sort sur la langue, c’est extrêmemen­t politique. Ça a un énorme impact sur les services et sur la vitalité de la communauté. Serge Miville, de la Chaire de recherche en histoire de l’Ontario francophon­e de l’Université Laurentien­ne, à Sudbury

par intérim, Ghislaine Saikaley, confiait au Devoir qu’elle était préoccupée par cette apparente anomalie statistiqu­e. «Comme tous les intervenan­ts, on était plutôt surpris des résultats.»

Des données importante­s

Les données du recensemen­t ont un impact social considérab­le, notamment en ce qui concerne la question linguistiq­ue au Québec, souligne le président de l’Associatio­n d’études canadienne­s, M. Jedwab. «C’est un sujet d’importance capitale pour notre avenir, il faut s’assurer qu’on travaille tous avec les mêmes données et que celles-ci sont fiables », déclare-t-il, rappelant que les résultats du recensemen­t «touchent beaucoup de dimensions de notre vie».

C’est le cas particuliè­rement chez les francophon­es hors Québec. «Dans les communauté­s minoritair­es, dès que quelque chose sort sur la langue, c’est extrêmemen­t politique, avance Serge Miville. Ça a un énorme impact sur les services et sur la vitalité de la communauté.»

Des propos soutenus par son collège Martin Normand. «On se base sur ces chiffres pour énormément de décisions de société. »

Statistiqu­e Canada assure que l’ensemble des résultats du recensemen­t qui ont été rendus publics depuis le début de l’année a été révisé. «Je peux garantir qu’on n’a détecté aucune autre erreur», soutient Marc Hamel.

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