Paul s’expose en plein air dans les rues du Plateau
Le personnage emblématique raconte l’histoire de Montréal en douze tableaux géants
Presque 20 ans après son irruption dans l’univers de la bédé québécoise, Paul, Montréalais pur jus, s’échappe de ses cases pour incarner l’histoire de la ville de Montréal. Pour le 375e anniversaire de la métropole, le héros du 9e art délaisse le papier pour s’af ficher en douze tableaux exposés en plein air, traçant ainsi un parcours historique à travers les méandres du Plateau Mont-Royal. C’est la première fois, depuis l’exposition Big
bang présentée au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) en 2011, que le fameux personnage quitte le confort de ses albums pour se frotter au vrai monde. En gestation depuis plusieurs années, le projet d’exposer la bédé en plein air, caressé en 2013 par les éditions La Pastèque pour ses 15 ans, avait dû être mis au rancart faute de moyens. Les festivités du 375e anniversaire ont permis de lui redonner vie, dans la peau de Paul, devenu au fil des ans le Tintin national et le chantre du petit quotidien de la métropole.
Dès le 15 août, les tableaux, de 6 pieds sur 12 pieds, disséminés dans 12 secteurs du Plateau, camperont l’histoire de Montréal en 12 moments clés, de 1642 à aujourd’hui. Loin de la bédé, la série de fresques sera «muette», dépourvue des phylactères propres au genre, mais traversée par un fil conducteur.
« Ça prenait un projet que tous pouvaient regarder et comprendre, sans texte, pour évoquer l’histoire de Montréal. Ce n’est pas une bédé au sens propre, avec une histoire, mais des “strips” exposés sur les murs du Plateau Mont-Royal. D’ailleurs, le plus dur a été de trouver des propriétaires qui acceptent de prêter leurs murs à l’exercice près des lieux choisis», soutient Michel Rabagliati, rencontré au Jardin de Panos, légendaire restaurant de la rue Duluth dont l’un des murs extérieurs accueillera une fresque.
Une fantaisie d’auteur
Paul, lui, revêtira au fil des siècles, et d’un tableau à l’autre, «cas’ de poil», redingote ou haut de forme, et campera un Montréalais galant lancé
aux trousses d’une jeune demoiselle pour lui remettre un mouchoir. Cette poursuite permettra à Paul de sauter les époques et d’exposer au passage les monuments, les événements et les personnages emblématiques de la métropole, dont les Dow, les Molson, le Ouimetoscope, toujours lancé sur la piste de sa belle, filant tantôt en tramway, tantôt en métro ou en Bixi. Alouette !
«On voulait que les gens se déplacent et fassent le circuit. Le thème de la poursuite, c’est un prétexte pour que les gens passent à la fresque suivante et découvrent l’histoire de Montréal en même temps que les
rues du Plateau», explique Rabagliati. Pourquoi le Plateau ? Parce que c’est à deux pas des éditions La Pastèque, mais surtout parce que Paul, Montréalais jusqu’à la moelle, y a égrené plusieurs des moments clés de son existence. C’est au coeur du Plateau, justement, qu’est campé
Paul en appartement (La Pastèque, 2004), oeuvre qui incarne case par case le quotidien d’un jeune amorçant sa vie amoureuse et son plongeon dans la vie adulte. Rabagliati a lui-même déniché son
premier appartement à l’angle des rues Villeneuve, Gilford et Saint-Denis, à deux jets de pierre de la petite ruelle Demers, petit bijou vert du quartier où sera accroché un tableau de cette série en douze clins d’oeil.
«Même si le parcours traverse le Plateau, les images parlent de toute l’histoire de Montréal qui, dans le fond, part du fleuve pour se poursuivre ensuite rue Notre-Dame, puis rue Sainte-Catherine, en montant ainsi au fil des décennies de plus en plus vers le Nord», raconte le géniteur de Paul.
Rabagliati met d’ailleurs en garde ceux qui s’offusqueraient de dénicher dans cette fresque des raccourcis avec l’histoire. Ils sont légion! « C’est d’abord une fantaisie d’auteur, ce n’est pas un polaroïd de la réalité. Je me suis basé sur des références historiques pour chaque période, mais j’ai mis l’accent sur des choses qui ont des résonances très personnelles pour moi comme pour Paul, dont le Ouimetoscope, le parc Belmont ou le pont Jacques-Cartier.»
Comme depuis le tout début des Paul, le passé de la métropole y est vivement teinté par l’univers de son personnage, lui-même traversé par la sensibilité de Rabagliati et des anecdotes vécues.
«C’est d’abord une fantaisie d’auteur, ce n’est pas un polaroïd de la réalité. [J]’ai mis l’accent sur des choses qui ont des résonances très personnelles pour moi comme pour Paul [...] Michel Rabagliati
Des tableaux sans bulles
Pour les mordus de la bédé, note l’auteur, le résultat de cette fresque n’est pas le produit d’une création libre, mais plutôt une commande. Rabagliati a dû s’imposer plusieurs contraintes, inexistantes lors de la création d’un album. « J’ai choisi de mettre en valeur des marqueurs connus de la ville. C’est comme illustrer un magazine, ce qui est beaucoup moins intime qu’un livre. Je ne voulais pas tomber dans la caricature ou dans la critique. Je vois ça comme quelque chose de festif sur Montréal», dit-il.
Ce portrait en douze temps contient d’ailleurs quelques clins d’oeil affectueux décochés à des personnages comme Michel Tremblay ou Thérèse Casgrain, dissimulés par Rabagliati. Les plus perspicaces sauront les dénicher dans ces tableaux sans bulles, qu’il faudra scruter de près pour en tirer toute la substantifique moelle. Un dépliant, des stèles fixées au sol et une application à télécharger permettront d’ailleurs d’en savoir plus sur chacun des arrêts de ce joyeux parcours, à faire dans l’ordre ou dans le désordre.
Le tout vivra pendant quatre mois, jusqu’au froid de novembre, moment à partir duquel l’oeuvre connaîtra une seconde vie sous la forme d’un grand album, intitulé Paul à Montréal, enveloppé d’une couverture rigide drapée de tissu rouge. En plus des 12 tableaux, le bel objet comprendra plus d’une quarantaine d’illustrations, de textes, de croquis et d’anecdotes, comme une porte ouverte sur l’univers créatif de Rabagliati. La chose fera figure de point final sur la jeunesse de Paul, près de 20 ans après l’apparition du personnage dans Paul à la campagne, publiée en 1999.
En effet, le metteur en scène de l’ordinaire planche déjà sur une version plus sombre du personnage, que l’on redécouvrira en 2018 au tournant de la cinquantaine, dans de nouvelles tranches de vie… À suivre.