Les errements de Statistique Canada. L’éditorial de Brian Myles.
Statistique Canada a surévalué la progression de l’anglais au Québec dans son dernier recensement. Cette bourde exige une enquête sérieuse.
Les quelque 57 000 nouveaux anglophones au Québec seront déçus d’apprendre qu’ils n’existent pas. Statistique Canada a annoncé vendredi une mise à jour de ses plus récentes données sur la langue, à la suite d’anomalies repérées par le chercheur montréalais Jack Jedwab. Selon le communiqué rédigé dans la troisième langue officielle du Canada, le langage bureaucratique, «une erreur dans un programme informatique a classifié incorrectement des réponses aux questions sur la langue pour environ 61 000 personnes », explique l’agence. S’ensuivront la publication d’une mise à jour des données du recensement et la proverbiale série de mesures « pour consolider [les] procédures de contrôle de la qualité ».
Comme le rapportait Le Devoir dans son édition de jeudi, la communauté anglophone a soulevé de sérieux doutes sur la montée fulgurante de l’anglais en région constatée initialement par Statistique Canada. Plus de la moitié de la hausse de 57 325 anglophones du Québec était signalée dans des villes telles que Rimouski (+164%), Saguenay (+115%), Drummondville (+ 110%), Trois-Rivières (+69%) et Shawinigan (+77 %).
Les passionnés de probabilités et de statistiques n’y verront pas de quoi fouetter un chat. Sur une population de 8,1 millions de personnes, une révision des données touchant 61 000 individus représente l’équivalent d’une erreur d’arrondissement. Ce n’est pas de statistiques qu’il est ici question, mais d’un enjeu vital de survie et d’émancipation qui concerne à la fois les populations francophone et anglophone du Québec, toutes deux tenaillées par des manifestations bien distinctes et spécifiques d’insécurité linguistique.
À preuve, les données faussées de Statistique Canada ont généré un débat de société dont les pages du Devoir se font l’écho et de vigoureux appels à l’action de la part des partis d’opposition, car un fait demeure: le français est en recul, partout. Le Parti québécois a notamment exigé l’adoption d’une loi faisant de la connaissance intermédiaire ou avancée du français un critère de sélection «éliminatoire» pour immigrer au Québec. De leur côté, les Anglo-Québécois, interloqués par leur subite progression démographique, ont demandé des explications, car ils ont l’impression de gérer la décroissance de leur communauté.
La dualité linguistique est le thème central d’un pays qui se prétend jeune de ses 150 ans cette année. C’est aussi l’un des principaux contentieux entre ces deux peuples fondateurs qui ont choisi de faire chambre à part dans la même maison, à défaut d’un meilleur arrangement constitutionnel. L’enjeu est trop important pour se contenter d’un simple communiqué.
Les francophones hors Québec, minoritaires, ont toutes les raisons de se demander si leur importance n’a pas été surestimée dans le recensement. En effet, rien ne ressemble plus à une erreur d’arrondissement qu’une autre. D’ailleurs, des chercheurs sont surpris de la vitalité du français à Ottawa et à Sudbury. Il y a anguille sous roche.
La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a rappelé que la précision, la qualité et la fiabilité des données du recensement sont de la plus haute importance pour le gouvernement. Pour ces raisons, et compte tenu de l’importance que revêt la politique sur les langues officielles, Mme Joly doit demander des explications à Statistique Canada. Et ces explications devront être fournies dans un cadre public.
Statistique Canada est réputée pour sa rigueur et la qualité de ses données. Les chercheurs ne remettent même pas en question la méthodologie de l’agence fédérale lorsqu’ils utilisent ses données pour conduire leurs propres recherches. Il serait injuste d’apprécier la réputation de l’agence à partir de cette seule erreur, ce qui ne la dispense pas d’un examen de conscience.
La tendance lourde au déclin de la part du français au Canada et son recul inquiétant au Québec (de 79,7% à 78,4% de la population en cinq ans) ne seront aucunement remis en question au terme de la mise à jour des données. Cet enjeu ne peut se résumer à l’agitation de «chiffons linguistiques». Il nous interpelle tous.