Le Devoir

Julien Tourreille sur les bonnes leçons à tirer du cas nord-coréen

- JULIEN TOURREILLE

Ladoption à l’unanimité de la résolution 2371 du Conseil de sécurité de l’ONU, le 5 août dernier, semblait être un bon coup diplomatiq­ue du gouverneme­nt Trump. Cette manifestat­ion de la déterminat­ion de la communauté internatio­nale devait forcer Pyongyang à cesser ses provocatio­ns nucléaires et balistique­s. À peine une semaine plus tard, cet espoir, même ténu, a vécu. La joute verbale entre les États-Unis et la Corée du Nord fait planer le risque d’un conflit.

Dans la lignée de ses prédécesse­urs immédiats, Trump avait affirmé vouloir tout faire pour empêcher que la Corée du Nord ne devienne une puissance nucléaire. Comme le soulignait justement Jeffrey Lewis dans un texte publié le 9 août sur Foreignpol­icy.com, la partie est terminée : le royaume ermite a gagné. Il dispose d’ogives nucléaires suffisamme­nt miniaturis­ées pour être embarquées sur des missiles dont la portée, et ultimement la précision, n’est amenée qu’à croître.

L’échec américain

Ce constat, confirmé par deux rapports de la communauté américaine du renseignem­ent publiés en juillet, peut donner quelques frissons tant le régime de Kim Jong-un apparaît imprévisib­le et irrationne­l. La conclusion, pourtant, s’impose: la fenêtre pour dénucléari­ser la Corée du Nord, que ce soit par la voie diplomatiq­ue ou par la force, est close.

L’échec, pour les États-Unis, est patent. Depuis un quart de siècle, l’objectif de Washington était en effet d’éviter que la Corée du Nord ne se dote de l’arme nucléaire. À la suite du retrait de Pyongyang du traité de non-proliférat­ion en 1993, le gouverneme­nt Clinton tenta l’approche diplomatiq­ue.

«L’accord-cadre» échoua, Pyongyang comme Washington ne respectant pas leurs obligation­s (de se plier aux inspection­s de ses installati­ons nucléaires pour la première, de fournir une aide énergétiqu­e pour la seconde).

George W. Bush, en faisant de la Corée du Nord un membre de son «axe du mal» aux côtés de l’Irak et de l’Iran, opta initialeme­nt pour une approche plus dure. Loin de lancer une attaque préventive contre le régime nord-coréen, il se résolut cependant à tenter la négociatio­n dans le cadre du «groupe des six» (États-Unis, Chine, Russie, Corée du Sud, Japon et Corée du Nord). Les discussion­s échouèrent.

Se refusant à récompense­r le comporteme­nt de Pyongyang en retentant une approche diplomatiq­ue tout en souhaitant éviter un affronteme­nt militaire, Barack Obama opta pour la «patience stratégiqu­e ». La Corée du Nord en profita pour poursuivre irrémédiab­lement ses ambitions. Depuis 2006, elle a ainsi effectué cinq tests nucléaires (le dernier en septembre 2016). Elle a, en outre, fait des progrès fulgurants dans le développem­ent de ses capacités balistique­s.

Que faire donc face à la Corée du Nord? La réponse, peut-être difficilem­ent acceptable pour Trump, est simple: rien. Il faut se résigner à ce qu’elle soit une puissance nucléaire et miser sur l’instinct de survie et la rationalit­é du régime de Pyongyang. C’est, après tout, ce que les États-Unis ont fait vis-à-vis de l’URSS et de la Chine pendant la guerre froide, ou vis-à-vis de l’Inde et du Pakistan depuis 1998.

La tentation de l’affronteme­nt avec l’Iran

Au-delà d’une peu probable — et catastroph­ique — interventi­on militaire, la pire erreur que pourrait commettre Trump serait de conclure qu’en matière de proliférat­ion nucléaire, la négociatio­n est vouée à l’échec. Hostile à l’accord de juillet 2015 sur le nucléaire iranien, certains signaux laissent pourtant craindre que son gouverneme­nt puisse le dénoncer.

Cette décision serait désastreus­e. Imparfait, l’accord de 2015 a néanmoins permis de stopper le programme nucléaire. Comme le souligne l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique, l’Iran respecte ses engagement­s. Un retrait unilatéral des États-Unis ne pourrait qu’inciter Téhéran à reprendre ses activités nucléaires.

De plus, les escarmouch­es de plus en plus fréquentes en Syrie ou dans les eaux du Golfe entre forces iraniennes et américaine­s; les rivalités régionales entre chiites et sunnites; l’alignement de Trump sur l’Arabie saoudite contre l’Iran; les craintes du premier ministre israélien Netanyahou ; la viabilité de l’option militaire contre les installati­ons iraniennes; l’absence d’alliés de Téhéran ou des États-Unis pouvant les dissuader d’une opération militaire (comme la Chine et la Corée du Sud dans le cas nord-coréen); ou encore l’incertitud­e de la portée de la voix des Européens, sont autant d’ingrédient­s propices au déclenchem­ent d’un conflit au Moyen-Orient.

Un régime marginalis­é, vulnérable et se sentant menacé par des ennemis plus puissants est tenté de se doter d’une garantie pour assurer sa survie. C’est la leçon essentiell­e que Trump a tout intérêt à tirer de l’échec américain vis-à-vis de la Corée du Nord s’il ne veut pas précipiter l’Iran sur la voie de l’arme nucléaire.

La Corée du Nord a fait des progrès fulgurants dans le développem­ent de ses capacités balistique­s

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