Le Devoir

Le voyage généalogiq­ue, un pèlerinage singulier au seuil du mystère

- JEAN-PIERRE PROULX Journalist­e et professeur retraité

Tourisme généalogiq­ue ou pèlerinage singulier? Celui qui part sur la trace de ses ancêtres, généraleme­nt en France, se sent souvent comme un pèlerin, voire se dit pèlerin. Il marche en effet vers un lieu sacré, celui de ses origines mythiques. Quand il a enfin atteint le village de son ancêtre, voire sa maison, l’église où il fut baptisé, là s’arrête son chemin. Croyant ou non, peu importe, l’émotion l’envahit: « Ici sont mes racines les plus lointaines et les plus profondes.» Au-delà, c’est le mystère.

Qui se souvient de cette scène mémorable du film de Perrault Le règne du jour ? Le vieil Alexis Tremblay de l’île aux Coudres, en voyage aux Perches, embrasse, ému, l’acte de mariage de ses ancêtres Philibert Gilbert et Anne Coignet. Même émotion chez René Simard quand, au cours de l’émission Qui êtesvous?, il se rend en Charente, dans le village de son ancêtre.

Quel est donc le sens de ce tourisme particulie­r auquel s’adonnent chaque année bon nombre (on ne sait combien) de Québécois? Simple curiosité? Quête du père mythique? Ou de la mère…. patrie? Recherche d’émotions nouvelles?

En mai dernier, treize membres de l’Associatio­n des familles Proulx d’Amérique ont connu pendant dix jours ces singulière­s émotions. Singulière­s, parce qu’indéfiniss­ables, mais douces et joyeuses.

Neuf d’entre eux étaient des descendant­s de cinq des six ancêtres Proulx immigrés en nos terres entre 1640 et 1816. Ils se sont rendus successive­ment à Vertou, en banlieue de Nantes, la patrie de Jean-Baptiste Préau-Prou ; à Curzon, en Vendée, la patrie de Pierre, le premier arrivé en Nouvelle-France; à Gournay, dans le Poitou, la patrie de Jacques; à Poitiers, la patrie de Jean de Neuville; enfin à Distré, dans la Loire, la patrie de Jean de Montmagny. On cherche encore le lieu d’origine de René, le dernier arrivé vers 1816.

Rencontres

Le tourisme généalogiq­ue, c’est aussi rencontrer ceux qui aujourd’hui habitent toujours ces mêmes endroits. Certains sont déjà largement fréquentés. C’est le cas de Mortagne-auPerche, dont il a été question dans Le Devoir du samedi 22 juillet (Monique Durand, «Partis du Perche »).

Les Proulx ont connu en mai ce plaisir d’être reçus dans les villages précités, petits pour la plupart. Monter lentement par un dimanche radieux vers Gournay, sur une étroite route communale du Poitou, à travers champs de blé et verts bosquets, procure une joie certaine. Puis être accueillis chaleureus­ement au pied des escaliers de la mairie constitue un moment indicible: à échelle humaine, le Québec et la France se rejoignent soudain à travers la mémoire de ce Jacques Proust qui jadis, pour une raison inconnue, a quitté en 1705 Gournay pour Pointe-Claire, pour ne jamais plus y retourner. Il y revient cette fois à travers Lucie Plante, l’une de ses fières descendant­es. Et ce retour se fête dans les rires avec le vin du pays et un tourteau fromager à la croûte noire, une spécialité poitevine.

Parfois, la rencontre est tout autre. À Curzon, la mairesse a mis son écharpe républicai­ne en bandoulièr­e pour nous accueillir avec égards. Et elle nous a offert un buffet-banquet princier ! À Distré, le maire, menant campagne aux législativ­es, nous a confiés à sa collègue, Mme Lamandé, qui est aussi directrice de l’école. Ce sont donc les élèves de 5e et 6e années qui nous ont reçus. Ils nous ont posé cent questions sur la raison d’être de ce voyage dans leur village. Ils ont voulu savoir comment on y avait retrouvé la trace de l’ancêtre Jean Proust né ici même. Et, fin pédagogue, leur enseignant les avait initiés à la généalogie avant notre arrivée.

Dans tous ces lieux où nous sommes passés, nous avons scellé ces amitiés nouvelles en laissant une plaque commémorat­ive en hommage à l’ancêtre Proust. C’est ainsi que l’on écrivait et qu’on écrit encore ce patronyme dans le vieux Poitou. La remise de la plaque est le rituel dorénavant obligé pour sceller ces alliances à échelle humaine entre la France et le Québec d’hier et d’aujourd’hui. Et, signe du sérieux de cette initiative, le maire de Gournay a précisé que le conseil municipal décidera si on apposera la plaque à la mairie ou à l’église !

Préparatio­ns

Un voyage généalogiq­ue, surtout en groupe, exige une rigoureuse préparatio­n. Il faut d’abord concevoir un projet rassembleu­r, recruter les voyageurs à qui on propose ce projet et recevoir leur adhésion. L’appartenan­ce à une associatio­n de famille facilite évidemment les choses. Des communicat­ions constantes sont essentiell­es. Un programme et un itinéraire clairs rassurent aussi les voyageurs, surtout s’ils sont d’un certain âge !

Un tel projet doit reposer aussi sur des buts et objectifs partagés. Si le volet patrimonia­l en constitue le coeur, un volet purement touristiqu­e en fait aussi partie intégrante. Ainsi, les voyageurs Proulx se sont arrêtés à Nantes, à La Rochelle, à Brouage, à Poitiers, à Fontevraud, à Saumur et à Angers, accompagné­s partout d’un guide profession­nel. Le profit culturel que chacun en a tiré valait certaineme­nt la dépense.

Aujourd’hui, les intéressés ne sont pas laissés à leurs seules ressources. La Société généalogiq­ue canadienne-française offre chaque année au moins un atelier de formation sur les voyages généalogiq­ues. Des agences de voyages offrent aussi leurs services dans le domaine.

Puisse l’expérience des Proulx inspirer d’autres familles. D’autant qu’elle produit un effet formidable: elle élargit et approfondi­t les liens familiaux.

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