Faire entrer les cliniques dans l’ère numérique
Chronometriq réduit les files d’attente et facilite la prise de rendez-vous
Le Québec regorge d’entrepreneurs passionnés qui tentent de mettre à profit une idée ou un concept novateur. Chaque semaine, Le Devoir vous emmène à la rencontre de gens visionnaires, dont les ambitions pourraient transformer votre quotidien. Aujourd’hui, un politologue et un autodidacte qui veulent simplifier la vie des patients et des médecins.
Les nouveaux bureaux de Chronometriq, situés en bordure du canal de Lachine, sentent encore la peinture. C’est dans ce grand espace lumineux, pour l’instant vide, que Yan Raymond-Lalande et Rémi Richard veulent faire de leur entreprise le leader canadien de l’automatisation des services des cliniques.
À regarder les planchers fraîchement cirés et l’espace entièrement rénové, on devine que la compagnie fondée il y a six ans est en pleine croissance. Ce dont on se doute moins, c’est le travail qu’ont dû abattre les cofondateurs pour en arriver là.
« Nos nouveaux bureaux, c’est l’aboutissement de nos espoirs, d’une vision qu’on a entretenue pendant des années. C’était un peu un rêve, explique Rémi en regardant autour de lui. On s’est souvent demandé jusqu’où on pourrait se rendre, ce qui pourrait nous arrêter. Et jusqu’à maintenant, on a franchi tous les obstacles, les uns après les autres. »
Appel marquant
Avant de devenir partenaires d’affaires, Yan et Rémi ont d’abord été amis et colocs. Et ça paraît: en entrevue, on ne peut les arrêter, autant quand ils parlent de leur compagnie que lorsqu’ils blaguent ensemble.
Il y a quelques années, Yan poursuivait sa maîtrise en science politique et Rémi venait de quitter l’université lorsqu’ils décident de lancer Obliq, une compagnie de création de sites Web. Ils décrochent certains contrats, y compris une commande inattendue de la part de One Drop, l’organisme mis sur pied par le fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté. Les affaires vont plutôt bien, mais le coeur n’y est pas.
Le vent tourne en 2011, lorsque Rémi reçoit un appel de son père, qui se plaint des longues heures qu’il vient de passer dans la salle d’attente d’une clinique sans rendez-vous. Il affirme qu’il serait prêt à payer pour pouvoir attendre chez lui.
L’idée, d’abord lancée en l’air, devient la rampe de lancement de Chronometriq.
Un premier client
C’est en griffonnant sur les murs de leur appartement que Yan et Rémi développent un prototype de borne médicale permettant aux
patients des cliniques sans rendez-vous d’éviter les files d’attente: l’usager se présente à la clinique, s’enregistre et retourne chez lui. Il peut alors suivre l’évolution de la file d’attente à distance et être avisé lorsque son tour s’en vient.
Il a fallu un an et demi de travail pour peaufiner le système, mais également pour convaincre les cliniques de faire confiance à deux jeunes dans la vingtaine qui n’avaient aucune expérience dans le monde de la santé ou des affaires.
Un premier établissement situé dans Rivièredes-Prairies accepte finalement d’accueillir la borne médicale en juin 2012. Chaque jour, la petite équipe de Chronometriq se relaie à la clinique pour assurer le bon fonctionnement du système, même si les revenus ne sont pas encore au rendez-vous.
«Une journée, j’ai marché de Longueuil à Rivière-des-Prairies parce que je n’avais pas 3,25$ pour prendre le métro », raconte Rémi.
«Notre source de motivation, c’était la réaction des gens, précise Yan. Ils revenaient à la clinique après avoir passé trois ou quatre heures à la maison, ils nous serraient la main. Il y a des gens qui nous remerciaient en nous envoyant une photo de leur bébé qui dormait.»
À la recherche d’argent
Cette première expérience réussie permet à Chronometriq d’attirer de nouveaux clients. Le taux d’utilisation des bornes demeure élevé, même si les patients doivent désormais payer 3$ par usage. Mais les coffres de l’entreprise ne sont pas remplis pour autant.
«On avait des cliniques à faire rouler, mais on n’avait pas d’argent. On ne se versait pas de salaire, les factures s’accumulaient. On a dû remplir nos cartes de crédit», affirme Rémi. «Il y a des financiers qui nous rencontraient pour la première fois et qui nous disaient à quel point notre idée allait nous mener loin. Ensuite, ils faisaient une enquête de crédit et ils ne voulaient plus rien savoir, dit-il. Ce qu’ils n’ont pas vu dans notre CV, c’est qu’on n’allait jamais arrêter.»
Leur persévérance portent finalement ses fruits: les cofondateurs décrochent des bourses et obtiennent le soutien financier nécessaire pour étendre leur gamme de produits. En plus du système permettant d’attendre à la maison, la compagnie offre aujourd’hui des bornes qui permettent aux patients de s’enregistrer lorsqu’ils se présentent à la clinique, ainsi que des plateformes pour prendre des rendez-vous en ligne et effectuer des rappels automatisés.
Entente déterminante
Les différents produits de Chronometriq sont actuellement utilisés dans plus de 500 cliniques à travers le Canada, mais l’entreprise dit convaincre près de 40 établissements supplémentaires par mois.
Les cofondateurs espèrent que leurs ser vices seront implantés dans 2000 cliniques à travers le pays d’ici l’été 2019. Ils ont bon espoir d’atteindre leur objectif depuis qu’ils ont signé il y a quelques mois une entente avec la plus grande firme informatique en santé au Canada, dont l’identité sera dévoilée en septembre.
« Au Canada, on compte 10 000 cliniques. Il y en a 8800 qui sont informatisées, et cette compagnie-là a des entrées dans 6000 d’entre elles, explique Rémi. Elle va distribuer nos produits dans l’ensemble de ces 6000 cliniques, donc ça va grandement accélérer notre croissance. »
L’entreprise devrait par ailleurs avoir les moyens de ses ambitions, puisqu’elle a annoncé en juillet l’obtention d’un financement de série A de 3,5 millions de dollars, orchestré par une firme de capital de risque californienne. Après le Canada, Chronometriq compte s’attaquer au lucratif marché américain dès l’an prochain.
En septembre, dans leurs bureaux tout neufs, les cofondateurs accueilleront 30 employés, soit quatre fois plus qu’en mars. Ce sera une étape importante, admettent-ils, mais pas la dernière.