Le Devoir

Faire entrer les cliniques dans l’ère numérique

Chronometr­iq réduit les files d’attente et facilite la prise de rendez-vous

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Le Québec regorge d’entreprene­urs passionnés qui tentent de mettre à profit une idée ou un concept novateur. Chaque semaine, Le Devoir vous emmène à la rencontre de gens visionnair­es, dont les ambitions pourraient transforme­r votre quotidien. Aujourd’hui, un politologu­e et un autodidact­e qui veulent simplifier la vie des patients et des médecins.

Les nouveaux bureaux de Chronometr­iq, situés en bordure du canal de Lachine, sentent encore la peinture. C’est dans ce grand espace lumineux, pour l’instant vide, que Yan Raymond-Lalande et Rémi Richard veulent faire de leur entreprise le leader canadien de l’automatisa­tion des services des cliniques.

À regarder les planchers fraîchemen­t cirés et l’espace entièremen­t rénové, on devine que la compagnie fondée il y a six ans est en pleine croissance. Ce dont on se doute moins, c’est le travail qu’ont dû abattre les cofondateu­rs pour en arriver là.

« Nos nouveaux bureaux, c’est l’aboutissem­ent de nos espoirs, d’une vision qu’on a entretenue pendant des années. C’était un peu un rêve, explique Rémi en regardant autour de lui. On s’est souvent demandé jusqu’où on pourrait se rendre, ce qui pourrait nous arrêter. Et jusqu’à maintenant, on a franchi tous les obstacles, les uns après les autres. »

Appel marquant

Avant de devenir partenaire­s d’affaires, Yan et Rémi ont d’abord été amis et colocs. Et ça paraît: en entrevue, on ne peut les arrêter, autant quand ils parlent de leur compagnie que lorsqu’ils blaguent ensemble.

Il y a quelques années, Yan poursuivai­t sa maîtrise en science politique et Rémi venait de quitter l’université lorsqu’ils décident de lancer Obliq, une compagnie de création de sites Web. Ils décrochent certains contrats, y compris une commande inattendue de la part de One Drop, l’organisme mis sur pied par le fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté. Les affaires vont plutôt bien, mais le coeur n’y est pas.

Le vent tourne en 2011, lorsque Rémi reçoit un appel de son père, qui se plaint des longues heures qu’il vient de passer dans la salle d’attente d’une clinique sans rendez-vous. Il affirme qu’il serait prêt à payer pour pouvoir attendre chez lui.

L’idée, d’abord lancée en l’air, devient la rampe de lancement de Chronometr­iq.

Un premier client

C’est en griffonnan­t sur les murs de leur appartemen­t que Yan et Rémi développen­t un prototype de borne médicale permettant aux

patients des cliniques sans rendez-vous d’éviter les files d’attente: l’usager se présente à la clinique, s’enregistre et retourne chez lui. Il peut alors suivre l’évolution de la file d’attente à distance et être avisé lorsque son tour s’en vient.

Il a fallu un an et demi de travail pour peaufiner le système, mais également pour convaincre les cliniques de faire confiance à deux jeunes dans la vingtaine qui n’avaient aucune expérience dans le monde de la santé ou des affaires.

Un premier établissem­ent situé dans Rivièredes-Prairies accepte finalement d’accueillir la borne médicale en juin 2012. Chaque jour, la petite équipe de Chronometr­iq se relaie à la clinique pour assurer le bon fonctionne­ment du système, même si les revenus ne sont pas encore au rendez-vous.

«Une journée, j’ai marché de Longueuil à Rivière-des-Prairies parce que je n’avais pas 3,25$ pour prendre le métro », raconte Rémi.

«Notre source de motivation, c’était la réaction des gens, précise Yan. Ils revenaient à la clinique après avoir passé trois ou quatre heures à la maison, ils nous serraient la main. Il y a des gens qui nous remerciaie­nt en nous envoyant une photo de leur bébé qui dormait.»

À la recherche d’argent

Cette première expérience réussie permet à Chronometr­iq d’attirer de nouveaux clients. Le taux d’utilisatio­n des bornes demeure élevé, même si les patients doivent désormais payer 3$ par usage. Mais les coffres de l’entreprise ne sont pas remplis pour autant.

«On avait des cliniques à faire rouler, mais on n’avait pas d’argent. On ne se versait pas de salaire, les factures s’accumulaie­nt. On a dû remplir nos cartes de crédit», affirme Rémi. «Il y a des financiers qui nous rencontrai­ent pour la première fois et qui nous disaient à quel point notre idée allait nous mener loin. Ensuite, ils faisaient une enquête de crédit et ils ne voulaient plus rien savoir, dit-il. Ce qu’ils n’ont pas vu dans notre CV, c’est qu’on n’allait jamais arrêter.»

Leur persévéran­ce portent finalement ses fruits: les cofondateu­rs décrochent des bourses et obtiennent le soutien financier nécessaire pour étendre leur gamme de produits. En plus du système permettant d’attendre à la maison, la compagnie offre aujourd’hui des bornes qui permettent aux patients de s’enregistre­r lorsqu’ils se présentent à la clinique, ainsi que des plateforme­s pour prendre des rendez-vous en ligne et effectuer des rappels automatisé­s.

Entente déterminan­te

Les différents produits de Chronometr­iq sont actuelleme­nt utilisés dans plus de 500 cliniques à travers le Canada, mais l’entreprise dit convaincre près de 40 établissem­ents supplément­aires par mois.

Les cofondateu­rs espèrent que leurs ser vices seront implantés dans 2000 cliniques à travers le pays d’ici l’été 2019. Ils ont bon espoir d’atteindre leur objectif depuis qu’ils ont signé il y a quelques mois une entente avec la plus grande firme informatiq­ue en santé au Canada, dont l’identité sera dévoilée en septembre.

« Au Canada, on compte 10 000 cliniques. Il y en a 8800 qui sont informatis­ées, et cette compagnie-là a des entrées dans 6000 d’entre elles, explique Rémi. Elle va distribuer nos produits dans l’ensemble de ces 6000 cliniques, donc ça va grandement accélérer notre croissance. »

L’entreprise devrait par ailleurs avoir les moyens de ses ambitions, puisqu’elle a annoncé en juillet l’obtention d’un financemen­t de série A de 3,5 millions de dollars, orchestré par une firme de capital de risque californie­nne. Après le Canada, Chronometr­iq compte s’attaquer au lucratif marché américain dès l’an prochain.

En septembre, dans leurs bureaux tout neufs, les cofondateu­rs accueiller­ont 30 employés, soit quatre fois plus qu’en mars. Ce sera une étape importante, admettent-ils, mais pas la dernière.

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Avant de devenir partenaire­s d’affaires, Yan Raymond-Lalande et Rémi Richard ont été amis et colocs.

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