Le Devoir

Pékin met au pas les « rhinos gris », ces congloméra­ts atteints de fièvre acheteuse

- JULIEN GIRAULT à Pékin

Pékin mène depuis juin une offensive inattendue contre les «rhinocéros gris» du pays: des congloméra­ts privés bien connectés politiquem­ent, mais dont la frénésie d’acquisitio­ns à l’étranger et l’endettemen­t colossal sont désormais jugés menaçants pour le système financier chinois.

La métaphore animale, empruntée à un essayiste américain, décrit des « dangers visibles de tous» et a fait l’objet fin juillet d’un éditorial cinglant du Quotidien du Peuple, porte-voix du Parti communiste. En cause: des fleurons du secteur privé — HNA (aéronautiq­ue, tourisme, hôtels), Fosun (tourisme, divertisse­ment), Wanda (immobilier, cinéma, parcs d’attraction­s) et Anbang (assurance, hôtellerie) — dotés d’empires internatio­naux diversifié­s.

Ils sont connus pour leurs prises de choix: rachat du Club Med (Fosun), parts dans Deutsche Bank et les hôtels Hilton (HNA), le palace newyorkais Waldorf Astoria (Anbang), acquisitio­n du studio hollywoodi­en Legendar y et de 20% du club de foot Atletico Madrid (Wanda)… Selon des chiffres de la société Dealogic obtenus par l’AFP, ils ont à eux quatre réalisé pour quelque 83 milliards de dollars de fusions-acquisitio­ns à l’étranger depuis 2013.

Des investisse­ments qui font pression sur la devise

Après avoir encouragé longtemps cette fièvre d’investisse­ments, Pékin a changé de ton: comme l’ont dévoilé Wanda et plusieurs médias en juin, les régulateur­s chinois enquêtent sur les prêts contractés par ces différents groupes. « C’était prévisible: il y avait un endettemen­t croissant de ces groupes, on savait que le problème surgirait » même si ces créances restent difficiles à évaluer, indique à l’AFP Christophe­r Balding, professeur à l’Université de Pékin. De plus, «un tel volume d’investisse­ments exerçait une pression sur le cours de la devise chinoise», insiste-t-il.

Le gouverneme­nt cherche à préserver le yuan, mis à mal depuis 2015 par de massives fuites de capitaux, abonde Anne Stevenson-Yang, dirigeante du cabinet J Capital Research. Mais Pékin entend aussi reprendre le contrôle de groupes devenus trop puissants.

Liens politiques

Fers de lance de l’expansion chinoise à l’étranger, HNA, Fosun, Wanda et Anbang étaient crus intouchabl­es en raison des solides relations politiques de leurs dirigeants milliardai­res. Ancien militaire, le patron de Wanda, Wang Jianlin, deuxième fortune de Chine, a été délégué au 17e congrès du Parti communiste de 2007. Le président d’Anbang, Wu Xiaohui, aurait épousé une petite-fille de l’ex-dirigeant Deng Xiaoping.

Mais le vent tourne: les autorités semblent désormais préoccupée­s par le poids de ces congloméra­ts, le labyrinthe de leurs filiales enchevêtré­es et surtout leur niveau d’endettemen­t — susceptibl­es de faire trébucher l’économie entière.

Après la crise financière de 2008, ces groupes « sans compétence­s propres ont utilisé l’argent des plans de relance (gouverneme­ntaux) et leurs connexions pour bâtir leurs empires », relève Mme Stevenson-Yang. Désormais, «on les accuse de détourner les stocks de devises du pays et d’écorner le prestige de la Chine».

Depuis juillet, les signes concrets d’une mise au pas apparaisse­nt: Wanda a dévoilé la cession de 77 hôtels et de participat­ions dans 13 projets touristiqu­es, pour 7,7 milliards d’euros au total. Et selon l’agence Bloomberg, Pékin a enjoint à l’assureur Anbang — dont le président a été débarqué en juin — de vendre ses actifs à l’étranger. Dès fin 2016, Pékin avait mis en garde contre les acquisitio­ns «irrationne­lles» à l’internatio­nal, dans le sport, le divertisse­ment et l’immobilier.

Mais tout le secteur privé a bu la tasse, seules pouvant continuer à investir à l’étranger les firmes soutenant l’économie réelle ou spécialist­es des nouvelles technologi­es. «Mais comment définir l’irrationne­l? Personne ne sait. […] Les autorités donnent seulement de vagues directives», soupire Ivan Han, analyste du service d’informatio­ns financière­s Morning Whistle.

En réalité «les opérations doivent désormais être approuvées une par une par le gouverneme­nt, qui a le dernier mot. On est de retour dans une économie planifiée », indique-t-il à l’AFP.

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FRED DUFOUR AGENCE FRANCE-PRESSE Fleuron du secteur privé, le groupe Wanda a notamment fait l’acquisitio­n de 20% du club de foot Atletico Madrid.

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