Le Devoir

La manière douce

Sébastien Laudenbach à propos de La jeune fille sans mains, d’après les frères Grimm

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Il était une fois un père qui, par cupidité, vendit sa fille à Lucifer. Touchée par la grâce, elle échappa au Malin qui, courroucé, lui coupa les mains. Ne succombant pas au chantage, elle alla son chemin et trouva refuge en un merveilleu­x jardin. La jeune fille sans mains n’est, pour dire le vrai, pas l’oeuvre la plus connue des frères Grimm. Ce qui n’a pas empêché Sébastien Laudenbach d’en tirer un film d’animation remarquabl­e.

Ce conte, pour le compte, le cinéaste ne le connaissai­t pas du tout avant qu’un producteur lui en parle. De cela, et de la pièce qu’en avait tirée Olivier Py. C’était en 2001 et, après sept ans d’efforts, ce premier projet d’adaptation tomba à l’eau.

«On n’est pas arrivés à réunir les fonds, ce sujet faisant grincer», explique Sébastien Laudenbach. Vrai que du Grimm, ce n’est pas du Disney. «En même temps, d’emblée, je m’étais dit qu’il ne fallait pas que je mette mes tripes sur la table, parce que ce serait trop dur si, justement, ça ne fonctionna­it pas. »

Hanté par cette histoire dure mais inspirante, Sébastien Laudenbach y revint, irrésistib­lement.

« Aux parents qui m’ont demandé s’ils pouvaient amener leurs enfants, j’ai répondu : c’est une histoire cruelle, mais qui est racontée de manière douce Le réalisateu­r français Sébastien Laudenbach

Fluidité envoûtante

Laissant de côté la version scénique, il s’en tint alors au conte originel, fort riche au demeurant.

«J’ai été séduit par la trajectoir­e de cette jeune fille; il y avait une dimension féministe inhérente au récit. Le thème de l’émancipati­on est récurrent dans les contes, mais je ne l’avais jamais vu traité de cette façon-là. »

La dénonciati­on du patriarcat et de la misogynie tous azimuts est manifeste dans l’adaptation, davantage encore que dans le conte, issu du reste d’un autre temps, or, jamais le film ne succombe au piège de la thèse. La narration coule, à l’instar de l’animation, d’une fluidité envoûtante.

«À terme, j’ai fait une lecture psychanaly­tique du conte: je me suis demandé ce que ça me racontait à moi. Je me suis dès lors retrouvé dans plein d’aspects de cette histoire. D’où sans doute la nécessité d’y revenir. »

L’héritage McLaren

Juste avant de rempiler avec La jeune fille sans mains, Sébastien Laudenbach réalisa un court métrage en expériment­ant avec des techniques d’animation nouvelles pour lui.

«Elles m’ont été inspirées par un génie de chez vous, Norman McLaren. Ce court métrage, je l’ai réalisé tout seul en un mois, et je me suis dit qu’en recourant aux mêmes techniques, du dessin sur papier très traditionn­el dont la couleur est ensuite transformé­e par ordinateur, je parviendra­is peut-être à réaliser un long métrage tout seul, en un an. Ç’a pris plus qu’un an, mais j’ai été immergé dans le film; c’était presque une transe. »

Rien de ce qui avait été développé pour la première tentative ne fut utilisé. À partir du conte, Sébastien Laudenbach improvisa un scénario au gré d’esquisses qui jaillissen­t les unes des autres en un flot d’une force d’évocation remarquabl­e.

«L’ironie, c’est que contrairem­ent à la mise en garde que je m’étais faite des années auparavant, je n’ai fait que cela, mettre mes tripes sur la table. C’est pour ça que je ne peux pas voir le film : je m’y reconnais trop. Je me reconnais dans tous les personnage­s, à commencer par celui de la jeune fille. Au commenceme­nt, on m’a confié ce projet que j’ai aimé et nourri; je l’ai illustré. Puis, on me l’a enlevé: on m’a coupé les mains. Après, comme la jeune fille, il a fallu que je m’isole et fasse pousser un jardin, que je développe mon univers créatif, pour finalement faire fleurir le film, autrement.»

L’art et la manière

Qui peut voir La jeune fille sans mains ? En France, le film a été permis à tous, à partir de l’âge de 8 ans.

«Aux parents qui m’ont demandé s’ils pouvaient amener leurs enfants, j’ai répondu: c’est une histoire cruelle, mais qui est racontée de manière douce. Le concevoir sans pression commercial­e, ça voulait dire personne pour venir s’opposer à tel ou tel élément. C’est pour ça que beaucoup de films d’animation sont un peu coincés. Ce film-ci ne l’est pas. Il est certes étrange, avec cette jeune fille inachevée et ces dessins qui le sont aussi, le fond et la forme fusionnant… Un film étrange, donc, mais ouvert. Et libre.»

Lauréat du Prix du jury au Festival internatio­nal du film d’animation d’Annecy, La jeune fille sans mains prend l’affiche le 18 août.

 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Pour Sébastien Laudenbach, La jeune fille sans mains est une histoire cruelle mais racontée de manière douce.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Pour Sébastien Laudenbach, La jeune fille sans mains est une histoire cruelle mais racontée de manière douce.

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