Le Devoir

Papa veut avoir raison

Un juif hassidique rêve d’autonomie, mais sa communauté ne le voit pas du même oeil

- ANDRÉ LAVOIE

MENASHE

★★★ Drame de Joshua Z. Weinstein. Avec Menashe Lustig, Yoel Weisshauss, Ruben Niborski, Meyer Schwartz. États-Unis, 2017, 82 minutes.

Vous souvenez-vous du désarroi de Dustin Hoffman en père démuni et seul devant sa progénitur­e dans Kramer vs. Kramer ? À la fin des années 1970, le sujet était jugé audacieux, et la même situation semble aujourd’hui aussi controvers­ée au sein de la communauté juive hassidique. C’est à ce tabou que s’attaque le documentar­iste Joshua Z. Weinstein dans Menashe, son premier film de fiction.

Nullement rattaché à cet univers clos, n’ayant aucune maîtrise du yiddish, il effectue tout de même cette plongée dans ce monde où tout est strictemen­t codifié, dont les rapports entre les hommes et les femmes. Voilà d’ailleurs ce qui provoque un malaise sérieux autour de Menashe (émouvant et débonnaire Menashe Lustig), veuf depuis un an et pas du tout pressé de se remarier. Tous, à commencer par son rabbin, lui souhaitent une nouvelle conjointe, ce qui assurera le bien-être de son fils Rieven (Ruben Niborski), ballotté entre le foyer de son oncle (Yoel Weisshauss), un être intransige­ant et accusateur même dans ses silences, et celui de son père, modeste et bordélique.

Bourdes et étourderie­s

Or, comment y parvenir avec un boulot de caissier dans une épicerie, criblé de dettes, incapable de se faire cuire un oeuf et toujours en retard? Menashe semble passer sa vie à réparer ses bourdes et ses étourdies, dont certaines couvrent de honte son fils tiraillé aussi entre son respect pour son père et son désir légitime d’une existence moins précaire. Une cérémonie soulignant la mémoire de sa conjointe disparue, point culminant de cette conquête désespérée d’autonomie, mélange les odeurs de roussi aux souvenirs doux-amers, illustrant aussi tous les codes secrets qui régissent ce milieu en marge du monde.

Joshua Z. Weinstein laisse constammen­t transparaî­tre son héritage de documentar­iste, filmant de près des interprète­s au profil singulier, et pas seulement à cause de leur absence évidente de technique de jeu et leur aisance à converser en yiddish. Car mis à part quelques rares dialogues en anglais et en espagnol, tout se déroule dans cette langue largement entendue dans les rues de Brooklyn. Jamais le cinéaste n’embrasse ce célèbre quartier dans sa totalité, nettement plus concentré sur ces visages souvent fermés, ou, en de rares occasions, légèrement illuminés d’espoir.

L’espérance se fait d’ailleurs rare tout au long de ce récit accordant une large place à l’observatio­n de coutumes plutôt déstabilis­antes pour un regard extérieur, égratignan­t le côté rigoriste de ces rituels, révélant aussi les sacrifices personnels que chacun doit assumer pour la sauvegarde de la communauté. C’est cette mascarade religieuse que le rebelle Menashe a beaucoup de mal à jouer. Sur un ton que plusieurs jugeront pessimiste, rien ne laisse croire qu’il en sortira vainqueur, prouvant aussi que Joshua Z. Weinstein, le documentar­iste, n’est jamais loin.

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MÉTROPOLE FILMS Joshua Z. Weinstein laisse constammen­t transparaî­tre son héritage de documentar­iste, filmant des interprète­s au profil singulier.

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