Le Devoir

Un délicieux ovni littéraire

Antonio Sarabia signe un récit déjanté sur un monde qui vacille

- MICHEL BÉLAIR

Les grands éditeurs ne se contentent pas de publier des polars; ils ratissent plus large en multiplian­t les collection­s selon les métamorpho­ses du genre. Gallimard, Le Seuil, Actes Sud le font. Galmeister publie des textes de coloration «noire» dans ses collection­s «Americana», «Noir», «Néo Noir» et «Totem». Mais c’est Métaillié qui va encore plus loin en explorant carrément des pans entiers de littératur­e par région du globe. Le petit éditeur français publie ainsi une «Bibliothèq­ue nordique», une «Bibliothèq­ue italienne», une «Bibliothèq­ue brésilienn­e», une «Bibliothèq­ue hispanique», une «Bibliothèq­ue latino-américaine ». Et c’est dans celle-ci que l’on vient de découvrir des textes argentins, péruviens et mexicains absolument étonnants. Le dernier en date, La femme de tes rêves de l’auteur mexicain Antonio Sarabia, décédé en juin dernier, est une véritable perle rare.

Nous sommes quelque part au Mexique, dans une petite ville de province dont on ne saura jamais le nom et où les mendiants portent des costumes délirant sur la structure atomique de l’univers. Dans la salle de rédaction du petit journal local, le chroniqueu­r aux faits divers se fait impunément tabasser par des truands. Personne ne meurt — enfin, pas tout de suite —, mais on saisit déjà après quelques pages que le ton est fixé: tout est possible dans cet univers où la trame narrative déjantée fait penser au «réalisme onirique» de García Márquez ou aux délires organisés de Borges.

Une perle rare

Une série d’enlèvement­s et d’exécutions sommaires va se produire sous le regard étonné du «héros», Hilario Godinez, qui est chroniqueu­r sportif au même petit journal. Même s’il a abandonné ses prétention­s littéraire­s, Godinez s’ennuie un peu tout en peaufinant ses chroniques qui lui valent une réputation de connaisseu­r. Mais on découvre surtout qu’il reçoit chaque semaine depuis plus de 10 ans des lettres d’amour particuliè­rement bien tournées signées « la femme de tes rêves »… dont il ignore totalement l’identité.

Tout cela alors que se développe malgré lui une relation bizarre avec un balafré amateur de foot — en qui il reconnaît le chef des tabasseurs — et homme de main, à ses heures, d’un trafiquant de drogue omnipuissa­nt. Au moment où Hilario s’apprête à succomber aux charmes d’une jeune fille de famille aisée, le monde semble vaciller autour de lui alors que ladite « femme de [ses] rêves » se dévoile enfin… et qu’il est à son tour victime d’un enlèvement !

On aura deviné que ce n’est là qu’une mince partie de ce qui se trame dans cette histoire déroutante écrite si « différemme­nt ». Il faudrait parler de la dégaine de l’auteur, de son style inimitable et de sa faculté de passer d’un sujet à l’autre en touchant toujours, mine de rien, à l’essentiel. À un point tel que cet improbable récit vous laissera pantois quand arrivera la dernière page sans prévenir. Une sorte de perle rare à siroter lentement au coeur de l’été que voilà. LA FEMME DE TES RÊVES ★★★1/2 Antonio Sarabia Traduit du mexicain par René Solis Métailié, «Noir» Paris, 2017, 175 pages

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ISTOCK Enlèvement­s et exécutions se succèdent sous le regard du chroniqueu­r sportif d’un journal mexicain.
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Antonio Sarabia

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