Le Devoir

Québec étend la portée de son projet de loi sur la neutralité religieuse

Les villes et les sociétés de transport seront soumises aux règles sur les « services à visage découvert »

- MARIE-MICHÈLE SIOUI Correspond­ante parlementa­ire à Québec

La volonté du gouverneme­nt Couillard en matière de «neutralité religieuse» s’étendra aux élus municipaux, employés des villes, travailleu­rs, visiteurs et utilisateu­rs des musées et des transports en commun — qui devront tous se présenter «à visage découvert» pour fournir ou obtenir des services.

C’est à tout le moins ce que prévoient les amendement­s présentés mardi par la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, à l’ouverture de l’étude détaillée du projet de loi 62.

Les demandes d’accommodem­ents seront toujours possibles pour un motif religieux, mais seulement si elles respectent des critères essentiell­ement jurisprude­ntiels, comme le principe de l’égalité homme-femme ou de la contrainte excessive au bon fonctionne­ment d’un organisme. «Je pense que c’est important de cadrer le principe de la neutralité religieuse, de cadrer l’analyse des demandes d’accommodem­ents pour des motifs religieux […] et j’espère que, ce faisant, on va amener une certaine paix sociale », a déclaré la ministre Vallée. Cela dit, «c’est important de faire la nuance: ce n’est pas parce qu’on demande un accommodem­ent que, nécessaire­ment, on y a droit», a-t-elle affirmé plus tard.

L’étude du projet de loi, qui a été déposé en juin 2015, a été reportée au mois de février. Au lendemain de l’attentat de la mosquée de Québec, le gouverneme­nt avait alors choisi d’oeuvrer à la «bonificati­on» du projet de loi visant à faciliter l’intégratio­n des immigrants au marché du travail. Malgré les retards cumulés, Québec espère toujours adopter le projet de loi avant la fin de son mandat, en octobre 2018.

Dans les réseaux de transport et les municipali­tés, dont les noms apparaisse­nt pour une

première fois dans le projet de loi, les réactions au changement de cap du gouverneme­nt ont été rares et succinctes. «Après vérificati­on, nous ne semblons pas avoir été consultés sur l’amendement. Si nous sommes assujettis à la loi d’une façon quelconque, nous la respectero­ns, une fois qu’elle sera adoptée», a répondu la Société de transport de Montréal. « On nous a avisés de la possibilit­é d’un amendement en juillet. Nous avons réservé nos commentair­es et les ferons à la suite de la rencontre de notre conseil d’administra­tion, le 24 août», a aussi fait savoir la Fédération québécoise des municipali­tés.

La Ville de Montréal a quant à elle rappelé qu’elle est d’accord avec le fait que les services fournis par des employés de l’État doivent être rendus à visage découvert. Elle a cependant demandé à Québec « de respecter son autonomie et sa capacité de gérer la question de la tenue vestimenta­ire de ses employés et les conditions qui permettent à ses citoyens d’obtenir des services».

Le projet de loi 62 ne concerne pas nommément les signes religieux, mais prévoit la prestation et la réception de services «à visage découvert ». En vertu des nouveaux amendement­s, le principe de « neutralité religieuse » sera exigé dans les municipali­tés, les sociétés de transport en commun, mais aussi les musées, la Caisse de dépôt et placement du Québec ou Héma-Québec, entre autres. Est-ce donc dire qu’une personne qui montera à bord d’un autobus ou d’un wagon de métro devra dévoiler son visage ? « Moi, je ne suis pas ici aujourd’hui pour analyser chaque cas d’espèce, parce qu’on pourrait être ici jusqu’à 17 heures », s’est bornée à répondre la ministre Vallée, soucieuse de ne pas aborder d’exemples précis. En pleine consultati­on sur le projet de loi, en novembre, elle s’était retrouvée en porte à faux avec le premier ministre lorsqu’elle avait déclaré — en opposition aux paroles de Philippe Couillard — que le niqab et la burqa ne seraient pas autorisés durant les examens de conduite de la Société de l’assurance automobile du Québec.

Neutralité ou laïcité

Le libellé du projet de loi, «favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État », a continué de déranger les partis d’opposition, qui souhaitent tous que le Québec inscrive une fois pour toutes la laïcité dans sa législatio­n. « La neutralité, c’est beaucoup plus objectif», s’est défendue la ministre Vallée. «C’est une séparation entre l’État, les institutio­ns et la religion», a-telle ajouté, en rejetant la définition voulant plutôt qu’elle reconnaiss­e toutes les religions comme étant sur un pied d’égalité.

Autre consensus dans l’opposition, celui dégagé par la commission Bouchard-Taylor, qui suggérait d’interdire le port de signes religieux à toutes les personnes «en position d’autorité coercitive », à savoir les magistrats, les procureurs, les policiers et les gardiens de prison. À cette liste, la Coalition avenir Québec a choisi d’ajouter les enseignant­s du primaire et du secondaire. Le parti avait renoncé à cette demande en février, dans l’espoir d’obtenir l’unanimité au sujet du projet de loi. « On aurait pu régler ce dossier-là avec un compromis que le gouverneme­nt a refusé, donc nous, on revient à notre position d’origine », s’est résignée la députée Nathalie Roy. Le Parti québécois a quant à lui suggéré d’interdire le port du tchador, du niqab et de la burqa aux employés de l’État, « au motif qu’ils représente­nt un symbole d’oppression qui va à l’encontre du droit à l’égalité entre les femmes et les hommes ». « La longue bataille pour l’égalité des hommes et des femmes est si importante et chère au coeur des Québécois et des Québécoise­s […] il n’est pas question que l’État représente un recul sur cette bataille », a plaidé la porte-parole de l’opposition officielle en matière de laïcité, Agnès Maltais.

Newspapers in French

Newspapers from Canada