Le Devoir

Des commission­s scolaires crient à l’injustice

La loi permet à certains contribuab­les de payer moins de taxes

- JESSICA NADEAU

Pour diminuer le montant de leur taxe scolaire, des milliers de résidants de l’Outaouais choisissen­t de payer leur dû à la commission scolaire anglophone plutôt que dans l’une des quatre commission­s scolaires francophon­es de la région. Les présidents des commission­s scolaires francophon­es réclament une interventi­on politique pour mettre fin à cette «iniquité sociale flagrante » qui entraîne une augmentati­on de taxe pour les parents francophon­es.

Les parents de l’Outaouais dont les enfants fréquenten­t une école francophon­e commencent à recevoir leurs avis d’imposition. Et pour plusieurs d’entre eux, il s’agit d’une fort mauvaise nouvelle.

À la Commission scolaire au Coeur-des-Vallées, par exemple, la situation est à ce point critique que le président, Éric Antoine, s’est senti obligé d’envoyer une lettre aux «citoyens scolaires » pour justifier une nouvelle hausse de 7 % dans l’avis d’imposition scolaire.

Dans sa lettre aux contribuab­les, il écrit que la situation n’est malheureus­ement pas de son ressort. «Cette augmentati­on est la résultante

du phénomène d’iniquité sociale occasionné­e par une faille dans la loi provincial­e sur la taxe scolaire qui pénalise nos familles francophon­es et nos entreprise­s. Cette situation affecte également tous ceux et celles qui choisissen­t, par conviction, de continuer de payer leurs taxes scolaires à la commission scolaire francophon­e.»

Cercle vicieux

La loi oblige les parents à payer des taxes à la commission scolaire qui accueille leur enfant. Mais ceux qui n’ont pas ou plus d’enfants d’âge scolaire peuvent choisir de payer leur dû dans la commission scolaire de leur choix.

C’est là que le bât blesse en Outaouais. En effet, de plus en plus de citoyens décident de se prévaloir de ce privilège, car les taxes sont moins élevées à la commission scolaire anglophone Western Québec. Et l’écart ne cesse de s’agrandir, amenant de plus en plus de contribuab­les à demander un transfert. C’est un cercle vicieux, désespère Éric Antoine. «Chaque fois qu’un contribuab­le quitte la commission scolaire francophon­e, le poids de l’ensemble de la taxe devant être perçue doit être redistribu­é sur le nombre de contribuab­les restants. Donc, plus il y a de contribuab­les qui quittent la commission scolaire francophon­e, plus le taux de taxe augmente pour les contribuab­les captifs ou qui ont fait le choix de rester à la commission scolaire francophon­e», résume-t-il dans sa lettre aux citoyens.

Le résultat, c’est qu’aujourd’hui le taux de taxation à la Commission scolaire au Coeur-desVallées est de 0,33 $ par tranche de 100$ de l’évaluation municipale contre 0,13 $ pour Western Québec. Cela équivaut, pour le propriétai­re d’une maison de 200 000$, à 660$ contre 260$ pour celui qui transfère son compte chez les anglophone­s.

«Ils partent pour sauver de l’argent, mais ce faisant, ils refilent la facture aux jeunes familles. C’est inacceptab­le »,

déplore le président de la Commission scolaire des Draveurs, Claude Beaulieu.

Exode

Éric Antoine et Claude Beaulieu parlent d’un « exode », d’une « hémorragie » des contribuab­les. À la Commission scolaire au Coeur-desVallées, ce sont 3000 contribuab­les qui ont déserté au profit de la commission scolaire Western Québec. À la Commission scolaire des Draveurs, on est rendu à plus de 10 000. Au total, sur l’ensemble du territoire de l’Outaouais, ce sont 18 400 contribuab­les qui ont transféré leur compte, calculent les présidents des quatre commission­s scolaires francophon­es touchés par cet exode.

À la Commission scolaire Western Québec, on vient tout juste d’annoncer une nouvelle baisse de taxes. « Nous apprécions le soutien que nous recevons des contribuab­les de notre territoire, affirme le président, James Shea. Nous comprenons aussi la frustratio­n que certains autres contribuab­les peuvent ressentir, mais c’est important de savoir que nous n’avons pas de contrôle sur notre taux de taxation. »

Pressions politiques

Les présidents des quatre commission­s scolaires francophon­es de l’Outaouais ont multiplié les démarches pour réclamer une interventi­on rapide de Québec. Ils ont rencontré le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, en avril dernier. Sans nouvelles au moment de préparer leurs budgets respectifs en mai dernier, ils lui ont écrit à nouveau pour lui faire part de leur «grand désarroi» et lui rappeler son « engagement d’annoncer rapidement des solutions afin d’endiguer la migration importante des contribuab­les […] ou d’en contrer les effets».

Les quatre présidents évoquaient «l’urgence de prendre des mesures temporaire­s immédiates pour contrer l’iniquité sociale dans la taxe scolaire».

«Nous sommes otages d’une loi archaïque qui privilégie certains au détriment des autres. Nous, on prône l’équité. L’éducation, c’est l’affaire de tous; tous les citoyens devraient y participer de façon équitable», plaide Éric Antoine en entrevue.

Réflexion à Québec

À Québec, l’attachée de presse du ministre Proulx a répondu mardi que « le dossier suit son cours », évoquant une mêlée de presse du 4 juillet dernier. Le ministre affirmait alors avoir mis sur pied un comité pour étudier certains scénarios et être en discussion avec le ministère des Finances à cet effet.

Il rappelait que la situation n’était pas unique à l’Outaouais et que, dans certaines régions, la tendance est parfois inversée, au détriment des commission­s scolaires anglophone­s.

«On veut avoir une réflexion pour voir comment faire pour qu’il y ait moins d’iniquités entre les francophon­es et les anglophone­s», soutenait le ministre.

Il disait étudier avec intérêt le modèle de la régionalis­ation de la taxe, tel qu’appliqué à Montréal, pour que chacun paye une part égale d’une commission scolaire à l’autre sur un même territoire. «Il y a des régions pour lesquelles ce serait assez simple de faire une telle gymnastiqu­e, mais pour le faire, il faut passer par des changement­s législatif­s, alors ce n’est pas en claquant des doigts que ces choses-là peuvent arriver.»

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