Le Devoir

Petite-Vallée: le Théâtre de la Vieille Forge part en fumée

La prochaine saison du théâtre La Licorne fera une large place aux créations d’ici

- MARIE LABRECQUE

Pour Denis Bernard, La Licorne est devenue une véritable place publique, où cohabitent artistes et spectateur­s. Car si la représenta­tion est sacrée, un théâtre n’est surtout pas une église, affirme avec force le directeur. «Le théâtre appartient aux citoyens, pas aux gens qui le dirigent ni à une élite.» Plus que jamais, celui qui annonçait mardi sa neuvième programmat­ion à titre de directeur artistique prône une vision citoyenne de cet art. Soit un théâtre « engagé, rassembleu­r, issu d’une volonté humaniste d’avancer ensemble », et non pas répondant à un dogme politique particulie­r. «Je me rends compte que je tourne toujours autour du même message : l’être-ensemble, le devenir-ensemble.»

L’«effervesce­nce assez incroyable » que vit l’institutio­n de l’avenue Papineau («des années folles qui ont été extrêmemen­t exigeantes pour notre petite équipe et les petits moyens dont on dispose», précise Bernard) passe par une occupation grandissan­te de tout l’espace. Y compris des représenta­tions dans la salle de répétition­s, où se poursuivro­nt Les 5 à 7 de La Licorne offerts par la compagnie LAB87. La formule a suscité un «engouement fantastiqu­e» l’année dernière. « Beaucoup de gens qui d’habitude ne fréquenten­t pas le théâtre sont venus voir. Et ils reviennent. »

Cette mise en valeur du lieu est depuis le début l’une des priorités du directeur, qui a piloté la rénovation de La Licorne. «La vitalité d’un théâtre se manifeste aussi physiqueme­nt, par la circulatio­n à l’intérieur de ses murs. »

En résidence

La Licorne présente cette année une majorité de créations québécoise­s, dont plusieurs signées par des dramaturge­s avec lesquels le théâtre poursuit une collaborat­ion. «Diriger un théâtre, pour moi, c’est [bâtir] une programmat­ion autour d’un mandat, bien sûr, mais c’est surtout énormément de dialogues avec des créateurs », explique Denis Bernard, qui montera luimême Os, la montagne blanche de Steve Gagnon. « On a un peu un devoir de continuité.»

Celle-ci se vérifie dans les nouvelles créations de la compagnie maison (La Manufactur­e reprend aussi deux populaires production­s du répertoire britanniqu­e qui lui est cher, Des arbres et Des promesses, des promesses ): Psychédéli­que Marilou de PierreMich­el Tremblay, qui ouvre la saison de façon « pétillante », et La meute, texte qui a saisi le directeur artistique. Catherine-Anne Toupin a écrit sa seconde pièce durant son séjour au Royaume-Uni, où la traduction de sa première, À présent, a connu un «succès retentissa­nt». En gros, ce thriller «pose une question terrible: est-ce qu’on peut répondre à la violence par la violence?»

Le bassin d’auteurs en résidence, désormais au nombre de huit, n’est pas étranger à cette augmentati­on des textes d’ici à La Licorne. Invité à rejoindre ce groupe parce que «sa façon d’approcher une oeuvre convient parfaiteme­nt au mandat » du théâtre, Simon Boudreault en livre l’un des fruits en 2018. Dans sa comédie Comment je suis devenu musulman, l’auteur d’As is a un peu «vampirisé» sa propre vie, en partant de sa situation personnell­e: celle d’un athée en couple avec une femme non pratiquant­e mais issue d’une famille marocaine musulmane. Entre une naissance et une mort annoncées, le récit entraîne un questionne­ment sur l’engagement, la religion. Et cette interrogat­ion majeure en face de la finitude: «À qui on croit? Est-ce qu’on croit à quelque chose?»

Femmes d’aujourd’hui

Grâce à la résidence, La Licorne renouera aussi avec l’écriture «absolument brillante » de Catherine Léger (Baby-sitter). Avec Filles en liberté, « elle continue de confronter le féminisme aux valeurs d’aujourd’hui. En le défendant, en le brandissan­t haut et fort, mais aussi en le critiquant très fortement.»

De l’Anglaise Caryl Churchill (Amour et informatio­n, produit par La Banquette arrière) à la jeune lauréate du prix Gratien-Gélinas 2015 (Marianne Dansereau, avec Hamster), la saison paraît riche en voix et en protagonis­tes féminines. S’il n’en fait pas son premier critère de sélection, Denis Bernard se réjouit néanmoins. Et il attire l’attention sur Chaloupe, un premier monologue de l’actrice Sylvianne Rivest-Beauséjour. «C’est un discours comme je n’en ai jamais lu, sur une sexualité assumée, fulgurante. Un texte sulfureux dans le sens noble. Et, à mon avis, un grand texte.»

C’est ce qui distingue La Licorne, croit son directeur: des sujets forts, des auteurs qui n’ont pas peur d’aller loin. «On [présente] des oeuvres grand public, mais qui provoquent jusqu’à un certain point, qui bousculent et vont le plus possible au fond des choses. »

 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Le directeur artistique et général Denis Bernard (en arrière-plan) en compagnie des comédiens Micheline Bernard, Alice Moreault, Marc Beaupré et Maxime Denommée
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Le directeur artistique et général Denis Bernard (en arrière-plan) en compagnie des comédiens Micheline Bernard, Alice Moreault, Marc Beaupré et Maxime Denommée

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