Le Devoir

Découverte de l’hormone de l’altruisme et de l’empathie

Des chercheurs proposent des stratégies pour atténuer l’attitude de rejet de l’étranger chez les xénophobes

- PAULINE GRAVEL

Alors qu’un récent sondage révélait qu’une part importante de la population québécoise s’oppose à l’accueil des demandeurs d’asile haïtiens qui affluent à la frontière canadoamér­icaine, des chercheurs allemands publient dans les Proceeding­s of the National Academy of Sciences (PNAS) un article proposant des stratégies susceptibl­es d’atténuer cette attitude de rejet envers les étrangers, voire d’induire un comporteme­nt altruiste chez les personnes xénophobes.

Ces stratégies consistent à accroître la libération d’ocytocine, une hormone impliquée dans l’empathie, tandis que l’on expose les personnes à des messages décrivant des actions altruistes.

L’équipe de René Hurlemann, du Centre médical de l’Université de Bonn, en Allemagne, a mené sa recherche tandis que des milliers de réfugiés en provenance du MoyenOrien­t déferlaien­t vers les pays d’Europe de l’Ouest et étaient accueillis en grand nombre par l’Allemagne.

Pour ce faire, les chercheurs ont présenté à 76 Allemands de souche 50 portraits authentiqu­es de personnes pauvres, dont 25 étaient des réfugiés et 25 des Allemands locaux. Avec les 50 euros qu’on leur avait remis, les sujets de l’étude décidaient ensuite s’ils accordaien­t ou pas une somme n’excédant pas un euro à chacun de ces individus. Ils étaient autorisés à garder pour eux le reste de l’argent qu’ils n’avaient pas distribué.

Les chercheurs ont alors observé que les dons aux réfugiés excédaient d’environ 20% ceux accordés aux Allemands locaux.

Attitude positive

Dans une deuxième expérience, les chercheurs ont d’abord évalué les attitudes d’une centaine d’Allemands de souche à l’égard des réfugiés à l’aide d’un questionna­ire.

Dans un second temps, ces sujets devaient s’administre­r une dose d’ocytocine — une hormone qui accroît notamment l’attachemen­t de la mère pour son bébé — ou d’un placebo à l’aide d’un vaporisate­ur nasal avant de décider à qui et combien ils donneraien­t parmi 25 réfugiés et 25 «locaux» en situation de grande pauvreté.

L’administra­tion d’ocytocine, cette hormone sécrétée par une structure du cerveau appelée hypothalam­us, a alors incité les sujets présentant une attitude positive à l’égard des réfugiés à doubler leur contributi­on aux réfugiés et aux «locaux», même si les sommes qu’ils allouaient aux réfugiés demeuraien­t 30 % plus élevées.

L’hormone n’a toutefois pas augmenté la générosité des individus ayant une attitude plutôt hostile à l’égard des réfugiés.

Par contre, lorsque les chercheurs ont informé ces derniers sujets de la somme moyenne que leurs pairs avaient décidé d’offrir dans l’expérience précédente, l’administra­tion d’ocytocine les a alors conduits à accroître leurs dons aux réfugiés de 74 %.

Message de bienfaisan­ce

Selon les chercheurs, ces résultats « fournissen­t la preuve qu’il est possible de contrer le rejet xénophobe des réfugiés [que manifesten­t certains citoyens] en combinant un accroissem­ent de l’activité du système sécrétant l’ocytocine avec des incitation­s à la coopératio­n proférées par des individus ayant un rôle de modèles dans la société. Toutefois, aucune de ces deux interventi­ons n’est suffisante en elle-même pour altérer les comporteme­nts égoïstes» des personnes xénophobes.

«Des messages de bienfaisan­ce n’étaient pas suffisants pour encourager l’altruisme envers les réfugiés chez les personnes au départ réfractair­es à leur venue», souligne M. Hurlemann, avant d’expliquer que l’augmentati­on de l’activité du système sécrétant l’ocytocine facilitera­it vraisembla­blement le respect de la norme sociale, et ainsi induirait l’altruisme envers les membres de communauté­s étrangères chez les individus les plus égoïstes et xénophobes.

«Notre intention n’est absolument pas d’administre­r de l’ocytocine aux gens comme on l’a fait dans l’étude!» déclare tout de go M. Hurlemann.

« L’ocytocine est une hormone endogène qui est libérée quand les gens célèbrent ensemble, dansent ensemble ou chantent ensemble dans un choeur, par exemple. Cela se produit aussi lors des grands rassemblem­ents de partis politiques. Une telle situation favorise la libération d’ocytocine endogène chez les personnes rassemblée­s alors qu’au même moment les officiels leur parlent des enjeux qui les concernent. Les xénophobes pratiquent le même mécanisme, ils se rassemblen­t pour écouter leurs modèles sociaux, mais ils sont exposés à des signaux négatifs.»

Norme sociale

Selon les chercheurs, de plus amples efforts devraient être déployés pour rendre possibles «les rencontres entre citoyens des pays hôtes au cours desquelles on communique une norme prosociale, notamment en rappelant et en soulignant les avantages de la diversité ethnique, du pluralisme religieux et des différence­s culturelle­s».

Cette norme sociale peut aussi être véhiculée par « des reportages équilibrés et informatif­s dans les médias et par l’intégratio­n de thèmes reliés aux réfugiés dans les programmes scolaires et universita­ires ».

Ces stratégies consistent à accroître la libération de l’hormone, tandis que l’on expose les personnes à des messages décrivant des actions altruistes

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