Le Devoir

Quand l’opposition table sur l’ignorance

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On ne saurait établir de lien direct entre les propos des chefs des partis d’opposition concernant la vague de demandeurs d’asile et les banderoles anti-immigratio­n qui sont apparues. N’empêche qu’il importe avant tout en cette matière de s’en tenir aux faits et à la règle de droit plutôt que de tenter de tirer un quelconque profit politique des inquiétude­s irrationne­lles d’une partie de l’électorat.

Des banderoles sur lesquelles est inscrit #REMIGRATIO­N, un slogan employé par des groupes européens d’extrême droite pour réclamer l’expulsion des immigrants, furent déployées à Québec, tandis que La Meute, un groupe qui dénonce l’immigratio­n «illégale», organise une manifestat­ion dimanche prochain, toujours à Québec. Sur les réseaux sociaux, des groupuscul­es minables comme la Fédération des Québécois de souche justifient la violence survenue à Charlottes­ville en la liant à l’immigratio­n massive, tandis qu’Atalante Québec s’en prend aux migrants «illégaux» et plaide pour une « inversion du flux migratoire » afin d’éviter «l’exterminat­ion tranquille» du peuple québécois, comme le rapporte La Presse.

La semaine dernière, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, parlait lui aussi de «migrants illégaux». Le Québec, dont la frontière est devenue « une véritable passoire », subit un «afflux hors de contrôle» de demandeurs d’asile, dénonçait-il.

Puis, établissan­t un parallèle bassement populiste, le chef caquiste plaignait les vacanciers québécois qui doivent attendre de longues heures aux postes-frontières pour rentrer au pays et qui s’indignent de voir des migrants «faire fi des lois comme s’il n’y avait pas de frontière».

Il ne fait pas de doute que François Legault a cherché à profiter de l’inquiétude que suscite cette vague de migrants dans la population.

Comme à son habitude, le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, a voulu jouer sur les deux tableaux. Il a envoyé une lettre aux premiers ministres québécois et canadien pour réclamer la suspension de l’entente entre pays tiers sûrs avec les États-Unis; cette suspension s’impose, selon nous, puisqu’elle permettrai­t aux demandeurs d’asile d’entrer au pays de façon régulière. En revanche, il a lui aussi parlé de l’illégalité de leur passage et, de façon péremptoir­e et farfelue, il a affirmé qu’un Québec indépendan­t ferait respecter ses frontières, comme si le Canada ne contrôlait pas les siennes, alors qu’il ne fait qu’appliquer une procédure qui respecte ses engagement­s internatio­naux et ses objectifs humanitair­es.

Le premier ministre Philippe Couillard a raison de dénoncer l’«ignorance», feinte ou réelle, dont font preuve les chefs caquiste et péquiste. En vertu de la convention internatio­nale sur les réfugiés et d’une décision de la Cour suprême, le gouverneme­nt canadien doit entendre les demandeurs d’asile qui arrivent au pays et statuer sur leur sort, qu’ils soient entrés au pays par un poste-frontière ou de façon irrégulièr­e. On ne peut simplement les refouler à la frontière.

Cette frontière n’est pas une passoire, puisque les demandeurs d’asile, qui ne souhaitaie­nt que cela, ont été pris en charge par les autorités. Certains obtiendron­t le statut de réfugié, tandis que les autres seront expulsés. Ce ne sont pas des immigrants illégaux; ils ne sont pas évanouis dans la nature. Enfin, il ne s’agit pas d’un afflux ingérable et inédit: dans le passé, le Canada a dû faire face à de telles vagues de réfugiés arrivés de façon irrégulièr­e.

François Legault et Jean-François Lisée devraient s’en tenir aux faits plutôt que d’aiguillonn­er, d’une façon grossière ou finaude, l’ignorance et la confusion.

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ROBERT DUTRISAC

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