Le Devoir

Le portrait corrigé continue d’inquiéter

Statistiqu­e Canada avait exagéré le recul du français au Québec

- AMÉLI PINEDA Avec La Presse canadienne

L’erreur de Statistiqu­e Canada sur la langue maternelle des Québécois ne doit pas faire oublier que le français est en recul au Québec, même si le phénomène est moins prononcé qu’on ne l’avait annoncé précédemme­nt, disent des organismes de défense de la langue française.

L’agence fédérale a corrigé jeudi ses données sur la langue qui avaient été publiées une première fois le 2 août.

Les doutes quant à la fiabilité des chiffres soulevés par des experts dans Le Devoir se sont avérés.

«L’erreur a accentué des tendances qui existent, mais qui ne sont pas aussi prononcées», explique Jean-François Lepage, analyste linguistiq­ue principal chez Statistiqu­e Canada.

La bourde a été causée par le logiciel utilisé pour compiler les données qui a inversé les réponses sur la langue dans des formulaire­s en français. Au Québec, environ 57 000 personnes ont ainsi mal été classifiée­s.

L’anglais comme langue maternelle n’a donc pas bondi dans la province de 9 à 9,6% entre 2011 et 2016. Au contraire, il a fléchi à 8,9 %.

Cette faute a eu pour conséquenc­e d’amplifier le recul du français comme langue maternelle au Québec.

Alors qu’on rapportait une régression de 79,7% à 78,4%, celle-ci s’établit plutôt 79,1%, entre 2011 et 2016.

«L’erreur ne doit pas venir minimiser un recul réel du français. La correction montre toujours un déclin de la langue française qu’on constate de recensemen­t en recensemen­t depuis des années », fait valoir Jean-Paul Perreault, président d’Impératif français, organisme voué à la promotion de la langue française.

Un avis partagé par le Mouvement Québec français, qui souligne que la révision des données touche principale­ment les régions. « On n’a pas fait d’erreur à Montréal, à Longueuil ou à Laval où la place de l’anglais est très importante. Le recul est peut-être moins marqué, mais il existe et ça reste préoccupan­t», dit l’organisme

Statistiqu­e Canada admet en effet que le portrait change moins en périphérie de Montréal.

L’organisme Quebec Community Groups Network (QCGN), qui milite pour les droits des anglophone­s, souligne pour sa part que la minorité linguistiq­ue anglophone est, elle aussi, en déclin.

«Ça vient nous toucher d’être vus comme les grands méchants loups alors que nous vivons un recul également. Les gens de notre communauté parlent français parce qu’ils savent que c’est important lorsqu’on désire faire sa vie au Québec», mentionne Sylvia Martin-Laforge, directrice générale de QCGN.

Mea culpa

Des fonctionna­ires de Statistiqu­e Canada y sont allés d’un mea culpa jeudi, affirmant que l’erreur n’aurait pas dû échapper à la vigilance de l’agence. « C’est clair qu’on aurait dû capter cette erreur-là, il n’y a aucun doute là-dessus»,a affirmé en entrevue Jean-Pierre Corbeil, responsabl­e du programme de la statistiqu­e linguistiq­ue chez Statistiqu­e Canada.

Jack Jedwab, le chercheur montréalai­s qui a constaté les irrégulari­tés dans les données, est satisfait de la réponse de Statistiqu­e Canada.

«La langue est une question très délicate et il y a des leçons à tirer de ce qui est arrivé. Il faut redoubler les efforts pour s’assurer de l’exactitude de ces données, parce qu’elles sont rapidement utilisées par des organismes et des politicien­s», rappelle M. Jedwab, qui est président de l’Associatio­n d’études canadienne­s.

La publicatio­n des données du 2 août avait aussi suscité de vives réactions chez les politicien­s, qui maintienne­nt leurs positions.

«Il y avait quelque chose d’affolant dans les premiers chiffres qu’on nous a présentés, mais aujourd’hui on ne peut pas être rassuré par un recul moins considérab­le; il n’en demeure pas moins qu’il y en a un», mentionne Stéphane Bergeron, du Parti québécois.

La députée de la Coalition avenir Québec Claire Samson croit toujours que les efforts doivent être redoublés pour renforcer l’usage du français.

Au cabinet du ministre de la Culture et des Communicat­ions, Luc Fortin, on indique que la position du gouverneme­nt ne change pas même si les statistiqu­es erronées sont corrigées.

«La langue maternelle et la langue parlée à la maison ne sont pas de bons indicateur­s de la vitalité du français, car ils concernent la vie privée des citoyens, où le gouverneme­nt n’a pas à intervenir. La loi et les mesures que nous prenons s’appliquent à l’usage du français dans l’espace public », mentionne Karl Filion, attaché de presse du ministre Fortin.

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