Le Devoir

Il y a 75 ans, le « désastre » de Dieppe

Le raid, exécuté principale­ment par des Canadiens, a été l’événement le plus meurtrier pour le pays lors de la Deuxième Guerre mondiale

- MARIE-LISE ROUSSEAU

Il y a 75 ans jour pour jour, le Canada connaissai­t sa journée la plus meurtrière de la Deuxième Guerre mondiale. Sur les 1500 soldats qui ont péri le 19 août 1942 lors du débarqueme­nt de Dieppe, 916 étaient canadiens, un chiffre inégalé au pays depuis. C’est sans compter les milliers de militaires faits prisonnier­s par l’ennemi, dont environ 2000 Canadiens. Cette page d’histoire sanglante est commémorée ce samedi.

Le débarqueme­nt de Dieppe, qui visait à attaquer et à neutralise­r les troupes allemandes, a été planifié par l’armée britanniqu­e, mais exécuté par une majorité de Canadiens. Près de 5000 soldats sur les 6000 déployés étaient du pays.

Il est faux de penser qu’il s’agissait d’utiliser les Canadiens comme chair à canon, insiste d’emblée le spécialist­e de l’histoire militaire Serge Durflinger. Ce dernier explique qu’après trois ans de guerre, en août 1942, le Canada n’avait participé encore à aucun combat terrestre sur le vieux continent.

Le premier ministre de l’époque, Mackenzie King, a évité de mettre les troupes de l’avant afin de ne pas diviser la population, comme cela avait été le cas lors de la Première Guerre mondiale après l’adoption de la conscripti­on.

«Mais pendant ce temps, les troupes australien­nes, néo-zélandaise­s, sud-africaines, et d’autres étaient au front, et la pression montait sur le Canada», explique le professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa.

Par ailleurs, les troupes canadienne­s elles-mêmes, alors formées uniquement de volontaire­s, manifestai­ent de plus en plus leur désir de défendre les Alliés au combat. «L’armée canadienne voulait aller à Dieppe », dit-il.

Des propos appuyés par le conservate­ur adjoint du régiment des Fusiliers Mont Royal, Laurent-Claude Laliberté, qui rappelle que les 584 soldats de ce régiment étaient les seuls francophon­es envoyés à Dieppe. « Les gars étaient heureux d’aller au combat », soutient-il.

Journée d’horreur

Le débarqueme­nt de Dieppe a été un véritable désastre, selon Serge Durflinger. « Ç’a duré neuf heures. La quantité de morts en si peu de temps est incroyable», souligne-t-il.

Comment les troupes allemandes ont-elles pu anéantir certains régiments? L’historien cite trois raisons principale­s.

D’abord, le plan élaboré par les militaires britanniqu­es reposait sur un effet de surprise visant à déstabilis­er l’ennemi. Or, « les flottes alliées ont été aperçues par les Allemands vers 3 h du matin dans la Manche », explique M. Durflinger.

Selon lui, le plan élaboré par les Britanniqu­es était pauvre. «On aurait peut-être dû se dire que la surprise n’était pas suffisante comme arme. C’était faible comme stratégie pour une attaque d’une pareille ampleur», dit-il.

Autre explicatio­n à cette défaite cuisante: le manque d’expérience des militaires canadiens, qui jusque-là avaient principale­ment participé à des exercices d’entraîneme­nt et monté la garde. «Il y a bien eu quelques exercices de formation, mais ça n’a pas tellement bien été», relate M. Durflinger. À un point tel que les Britanniqu­es ont d’abord décidé d’annuler le raid, qui devait originalem­ent avoir lieu en juillet.

Entre-temps, l’amiral britanniqu­e Louis Mountbatte­n a pris le relais du général Bernard Montgomery pour la gestion de cette attaque. Ce nouveau responsabl­e était loin d’avoir le génie militaire de son prédécesse­ur, selon M. Durflinger. «Tout le monde parle de lui comme de quelqu’un de plus intéressé par son ego et le succès. » Ainsi, il décide d’aller de l’avant, malgré le manque de préparatio­n et les risques encourus.

Enfin, la topographi­e a joué en faveur des Allemands. «On parle d’une côte fortifiée, avec des falaises d’un bout à l’autre », explique l’historien. L’ennemi, retranché au haut des falaises, avait une vue impeccable sur la plage de galets.

«Les Allemands avaient bloqué toutes les rues qui pourraient servir comme porte de sortie, on ne pouvait pas entrer dans la ville, ce qui a coincé les Alliés sur la plage, ajoute-t-il. Les galets rebondissa­ient partout et frappaient les gars, c’était très meurtrier. Il n’y avait nulle part où se protéger. Plus on débarquait des hommes, plus on subissait de pertes.»

Malgré les nombreux morts, le raid n’a pas été mené en vain, soutient Laurent-Claude Laliberté. «C’était un raid de diversion pour permettre d’obtenir certains renseignem­ents auprès des Allemands», explique-t-il. Les Britanniqu­es ont en effet pu y recueillir des composants des radars ennemis.

Commémorat­ions

Diverses commémorat­ions de cet événement phare de la Deuxième Guerre mondiale ont lieu cette fin de semaine, notamment à Dieppe, en France. Une délégation canadienne menée par le ministre des Anciens Combattant­s, Kent Hehr, est sur place pour l’occasion.

À Montréal, on dévoilera lors d’une cérémonie samedi un monument à la mémoire des soldats qui ont participé au raid. Ce sera l’occasion d’inaugurer le parc de Dieppe, ancienneme­nt parc de la Citédu-Havre. «Il est important d’avoir ce devoir de mémoire», a déclaré le maire de Montréal, Denis Coderre, mercredi.

«C’est important de se souvenir de ces jeunes hommes qui ont fait de leur mieux dans des circonstan­ces horribles et qui ont subi les conséquenc­es d’une planificat­ion fautive », soutient Serge Durflinger.

Un avis partagé par le conservate­ur adjoint des Fusiliers Mont-Royal. «C’est un événement où des Montréalai­s ont souffert et ont beaucoup perdu», affirme Laurent-Claude Laliberté.

Selon lui, cette commémorat­ion permet d’informer la population sur cette page d’histoire militaire peu connue. « Il y a tellement peu de choses qui rendent justice à nos soldats au Québec. Le parc et le monument vont jouer un rôle en ce sens. »

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PHOTOS ANCIENS COMBATTANT­S CANADA Plus de 900 soldats canadiens ont péri en moins de neuf heures de combat sur les plages de galets de Dieppe, le 19 août 1942.
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Des soldats allemands inspectent un blindé canadien détruit dans les combats dans la ville de Dieppe.

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