ALENA : des négociations difficiles en vue
Ce qui est étonnant cette fois dans le processus, c’est le ton négatif employé
Les États-Unis, le Canada et le Mexique ont entamé mercredi matin la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui a permis depuis 1994 de tripler le commerce entre les trois pays. Compte tenu des demandes américaines et des concessions qui pourraient découler des discussions, Le Devoir s’est entretenu avec Carl Grenier, ancien négociateur aux niveaux provincial et fédéral et aujourd’hui membre de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.
Est-ce que le ton de la déclaration tranchante faite par le représentant américain au Commerce mercredi peut offrir un éclairage particulier au sujet de la teneur des négociations ?
Je ne suis pas sûr que ça nous dise grand-chose sur la teneur, mais ça nous dit certainement quelque chose sur l’état d’esprit et l’inspiration pour cette renégociation. On sait que c’est essentiellement à cause de la vision qu’a M. Trump des accords commerciaux internationaux, qui ont souvent été pris comme cibles durant sa campagne. Il utilise beaucoup de superlatifs, par exemple, voulant que l’ALENA soit le pire accord jamais négocié.
Alors, son représentant au Commerce, Robert Lighthizer, adopte le même ton. Ce n’est pas surprenant, car il est là pour réaliser les objectifs du président.
Ce qui est étonnant, en fait, pour ceux qui ont déjà pris part à ce genre de négociation, c’est le ton négatif qui est employé. Dans le passé, c’était rare que des responsables politiques comme lui, dans les forums du GATT ou de l’OMC, par exemple, fassent des discours comme ça pour lancer les négociations et que le ton général ne soit pas partagé par les autres pays.
Il a dit notamment que l’ALENA avait été un désastre absolu, alors que le Mexique et le Canada ont dit au contraire que l’accord avait été plutôt bien pour les trois pays.
Faut-il s’attendre à ce que le Canada cède encore du terrain sur la gestion de l’offre (qui encadre la production de lait, de volaille et d’oeufs) ?
La gestion de l’offre est un cas particulier. Je l’ai défendue longtemps quand j’étais au gouvernement du Québec. Et quand j’étais au fédéral, dans les années 70, c’était une politique toute neuve.
J’ai fait partie de l’équipe canadienne du Tokyo Round (dans le cadre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce qui s’est terminé en 1979), et déjà, c’était attaqué. […] Une douzaine de pays avaient des systèmes à peu près semblables au nôtre, dont l’Australie et la NouvelleZélande.
Avec le temps, on a gardé cette politique, mais les autres l’ont abandonnée à la faveur de moyens différents pour protéger l’agriculture.
Quand on est tout seul autour d’une table où il y a plusieurs dizaines de pays qui négocient, ça devient de plus en plus dur de dire: «Nous, on va garder ça, c’est la bonne recette.» Ça ne veut pas dire que les politiques des autres ne sont pas contestables, mais les arguments sont plus difficiles à déployer.
On a vu ce qui s’est passé dans les négociations de l’Accord économique commercial et global (Europe) et du Partenariat transpacifique (PTP). Sans remettre en question les fondements mêmes du système, on a lâché du lest. […] En négociation, si vous dites: « Ça, on ne peut pas y toucher », à un moment, les autres vont répondre : «OK, qu’est-ce qu’on peut toucher alors?» Le prix de la défense de gestion de l’offre monte chaque fois.
Quand la ministre Freeland évoque des dispositions sur l’environnement et les conditions de travail, est-ce que ça serait superficiel ou ça pourrait avoir du mordant?
Ça pourrait avoir du mordant, mais ce serait très surprenant. Ces deux sujets n’ont pas fait partie des négociations de l’ALENA, mais le président Clinton, lorsqu’il a pris le pouvoir en 1993, avait dit que ça prendrait quelque chose làdessus.
Il faisait face aux pressions de certains groupes qui craignaient notamment la concurrence des bas salaires mexicains. On a eu des accords parallèles qui ont été ajoutés à l’ALENA, mais sans dispositions qui lieraient le commerce à ces questions-là.
Maintenant, le Canada veut incorporer ces dispositions dans l’accord. Est-ce que ça va changer grand-chose ? Ça va dépendre de ce qu’on met dedans. […] Je ne crois pas que le gouvernement Trump soit susceptible d’avoir des clauses qui auraient des dents en matière d’environnement dans la nouvelle version de l’ALENA.
Comment prépare-t-on des négociations avec les Américains ?
Il faut mettre tout ce qu’on a comme talent et comme effort. Dans ce cas-ci, on négocie avec quelqu’un qui est demandeur, ce qui généralement implique une position d’infériorité. Sauf que ce sont les États-Unis, et ça ne s’applique pas vraiment à eux.
Il faut avoir une idée très claire de nos intérêts, ce qui se forge avec des rencontres et des demandes de contribution des acteurs de l’économie. Ça prend aussi une étude assez approfondie de ce que les Américains sont susceptibles de vouloir demander. […]
L’idée de regarder à nouveau les clauses d’un accord commercial, il n’y a aucun problème avec ça. Il y a des choses qui n’existaient pas, comme le commerce électronique. Et je pense que, dans la plupart des cas, on va réussir à s’entendre.
Ces négociations-là ont déjà eu lieu dans le cadre du PTP. Si on était d’accord il y a deux ans, je présume qu’on va encore être d’accord aujourd’hui. Mais renégocier un accord demeure un exercice difficile. On préfère négocier de nouveaux accords.