Le mystère de Québec : des « électeurs aliénés » ?
Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’un ami m’informa du fait que quelqu’un discutait dans Le Devoir de mon livre Un Québec invisible, paru aux Presses de l’Université Laval en 2015 (Jean-François Daoust, «Le mystère de Québec. Les moins bien nantis rejettent la gauche », 15 août 2017).
Après une première lecture du texte prétendant invalider mes conclusions à partir de deux sondages en ligne, je me suis rendu compte, encore une fois, que nous ne parlions pas du Québec invisible, mais de légitimations a posteriori de comportements sociaux.
Le texte de M. Daoust consolide à nouveau ce que j’y écrivais alors: la construction d’un «mystère Québec» est une solution commode pour nous éviter d’étudier et de prendre en considération la vie des gens des «classes populaires». Devais-je répondre de ces simplifications abusives qui ne portent pas directement sur mes recherches et qui relèvent peutêtre davantage d’une lutte concurrentielle pour l’obtention de ressources et d’une «position sociale» dans l’espace universitaire ?
Ce texte paru dans la rubrique Les idées en revues du Devoir me donne l’occasion d’aborder plus particulièrement l’état actuel de la recherche universitaire, qui calque malheureusement trop souvent le modèle dominant du monde politico-médiatique (sondage, philosophie sociale, etc.) à des fins de réformes sociales, de contrôle des populations et de moralisation des moeurs.
L’orientation et le mode de financement de la recherche universitaire par les pouvoirs politiques n’aident en rien à la situation et à la promotion de la connaissance scientifique. La conséquence dans le cas qui nous occupe est la suivante: les territoires québécois (la région de Québec) se voient dotés d’une cohérence extérieure par le simple fait qu’ils sont réduits à une addition d’individus extraits de leurs relations sociales et de leur historicité. Les individus et les groupes deviennent des « répondants » et des « électeurs » avec des « variables » (sexe, âge, niveau de scolarité, etc.) et des « opinions ».
Ce texte ne peut pas infirmer des conclusions que je ne défends même pas, et encore moins celle où je prétendrais « que c’est essentiellement le rejet d’une présence gouvernementale forte qui expliquerait ce mystère ». Le rejet étatique n’explique rien, c’est bien ce qui serait à expliquer. Or je ne prétends pas expliquer ce «mystère», s’il en est un. Pour qui est ce «mystère»? Et qui le construit ?
Dans une entrevue au Soleil, j’ai en outre mentionné que je rejetais l’analyse simpliste d’une population « aliénée » par les radios parlées de Québec pour expliquer que des « électeurs » de la région votent plus à droite. J’ajoutais : « c’est parce que les universitaires et autres observateurs de la scène politique réduisent ces populations à leur comportement électoral, comme leur préférence souvent marquée pour les candidats aux idées conservatrices, qu’il existe un “mystère de Québec”».
Il est cependant important de défendre la connaissance de la diversité des espaces sociaux du Québec pour éviter de participer à la remontée des extrêmes en colportant des simplifications abusives, comme celle que l’auteur me met dans la bouche, sans aucune analyse véritable de mon enquête ethnographique dans un village de la grande région de Québec. Son intervention n’ajoute malheureusement rien à cette connaissance. Si l’auteur n’a pas le temps de lire mon livre, il n’a qu’à écouter l’entrevue que je donnais à Désautels le dimanche sur les ondes de la radio de Radio-Canada.
Si les sciences sociales s’inscrivent dans l’horizon des sciences, elles doivent viser la connaissance du réel, et non seulement dans ses justifications légitimantes, mais aussi dans la diversité des pratiques humaines, et le vote politique n’est que l’une de ces pratiques. Pourquoi enfin donner autant d’importance à cette dernière si nous considérons par ailleurs que les individus, comme l’écrit l’auteur, sont des « électeurs aliénés » ?
Le financement de la recherche par les pouvoirs politiques n’aide pas la science