La littérature québécoise sur le fil du temps
Michel Laurin propose un voyage dans les écrits qui ont forgé l’identité d’un peuple
Avouez que ce n’est pas possible! Quoi? Entrer dans la littérature québécoise, dans ses genres, à la rencontre de ses auteurs, des livres les plus marquants, des écrits de la NouvelleFrance à aujourd’hui, en… 30 secondes à peine? Et pourtant, maniant l’art de l’hyperconcision, Michel Laurin y arrive très bien dans cet exposé complet — ou presque — d’une histoire littéraire qui a pris racine sur un territoire, d’abord comme un rempart à l’assimilation et désormais comme une oeuvre forte d’affirmation. L’objet s’inscrit dans la collection d’ouvrages de référence qui donne l’impression de mettre le savoir au diapason du temps qui manque : la mode en 30 secondes, Einstein en 30 secondes, Londres en 30 secondes, la musique classique en 30 secondes… Et malgré les apparences, l’ouvrage livre de quoi s’occuper l’esprit et le nourrir pendant bien plus de temps que cela.
Des textes décrivant «la lente gestation d’un pays » (entre 1534 et 1760) au rayonnement international des Dany Laferrière, Michel Rabagliati, Kim Thuy, India Desjardins ou Perrine Leblanc, ce n’est pas un monde que l’univers des lettres a fait émerger, dans la colonie, au Canada français puis au Québec. Oh que non ! Ce sont plusieurs mondes, comme le souligne dans sa préface le romancier Nicolas Dickner.
« Notre littérature semble avoir eu la faculté de se réinventer de génération en génération, comme si chaque époque n’était pas l’écho persistant de la précédente, mais constituait plutôt une période distincte, neuve », écrit-il, en soulignant que « les enjeux doctrinaires, parfois sous le couvert de positions formelles, ont sans cesse orienté notre vie littéraire ».
Caractère singulier
À la barre de ce voyage dans le temps, Michel Laurin donne, en 62 articles — qui se lisent en 30 secondes! —, la pleine mesure de ces ancrages et de cette évolution d’une littérature qui a commencé par témoigner d’une existence sociale et d’une implantation à l’intention de ceux et celles restés derrière, sur le Vieux Continent. La littérature d’ici a ensuite témoigné du caractère singulier et national des Canadiens, a affirmé une identité distincte, s’est faite propagande, combat, et s’ouvre désormais sur le monde en comprenant de mieux en mieux le territoire sur lequel elle a pris racine, en refusant les carcans, en s’émancipant des angoisses collectives d’autres époques, pour sans doute mieux cultiver celles nouvelles de son temps.
Il faut dire que des récits mi-fictionnels, mi-documentaires du jeune baron de La Hontan, libre penseur qui a donné la parole aux « bons sauvages », de François-Xavier Garneau, qui a donné une histoire et une littérature à un «peuple qui n’en avait pas », et de ces romans, un genre jugé frivole, qui à la fin du XIXe siècle, sous la plume de Patrice Lacombe ou d’Antoine Gérin-Lajoie, racontaient l’idéal d’une vie agricole forcément en rupture avec la réalité sociale, les lettres québécoises en ont fait, du chemin, en déjouant la censure, en cultivant le mimétisme avec les littératures d’ailleurs, pour enfin permettre aux études de moeurs, au réalisme, à l’introspection, puis enfin à l’hyperindividualisme de tenir entre deux couvertures. «Aujourd’hui, comme le Québec, la littérature québécoise est en transition, quoique sans plan, pour l’aiguiller vers un avenir désirable», écrit Michel Laurin dans son introduction. Les plans idéologiques du passé semblent épuisés, ajoute-t-il, en parlant des jeunes et des moins jeunes, « nombreux à se détacher d’une certaine idée du Québec» depuis l’échec du référendum de 1980 — il ne mentionne pas, toutefois, celui de 1995. Ils se «sentent plutôt citoyens du monde », faisant ainsi apparaître de nouveaux concepts dans la littérature : « altérité, américanité, cosmopolitisme et fragmentation qui mettent en doute le vieux principe d’unité ».
Un doute qui, paradoxalement, permet toujours à « un petit peuple que l’histoire a placé, dans sa grande saga, au beau milieu des géants américains et européens» de poursuivre son affirmation, par sa littérature, et d’exprimer toujours un «point de vue original au sein des grandes cultures occidentales», sans avoir toutefois réussi à fédérer l’ensemble de ses forces autour des histoires qu’il raconte: «plus de 50% des Québécois n’auraient pas les compétences souhaitables pour lire convenablement», note Michel Laurin. La faute à toutes ces 30 secondes négligées, celles qui peuvent aussi combattre l’illettrisme.