Réjean Ducharme, un géant
Le roi est mort! Vive le roi! Il était le roi des mots. Le roi de l’enfance. Le roi des espaces ludiques. Le roi du Chat noir. Le roi de l’Hiver de force. Le roi des eaux gelées de la rivière des Outaouais. Le roi du restaurant Les Quatre Coins de L’Île-Perrot. Le roi du marché Atwater. Le roi de plusieurs des meilleures chansons de Robert Charlebois.
J’aime tant son théâtre. Ses romans aussi. Que j’ai lus comme de grandes aventures du langage. Des voyages. Au-delà des récits. Audelà des personnages et de leurs enjeux. J’ai embarqué dans ses aventures. Je me rappelle tous les endroits où j’ai lu ses livres. Dans les cafés. Le métro. Installé dans mon auto. En pleine tempête de neige. Dans les salles d’attente. Partout. Jamais chez moi. L’écriture de Ducharme m’invitait à sortir de mon salon. À aller jouer dehors. Comme un Enfantôme. Un Dévadé. Avec Claude Gauvreau, Réjean Ducharme est mon dramaturge québécois préféré. Un phare. Que plusieurs de nos metteurs en scène ont monté avec tant d’inspiration. Lorraine Pintal, JeanPierre Ronfard, André Brassard, Frédéric Dubois, Martin Faucher, Sylvain Scott, Gaétan Labrêche, Germain Beauchamp…
Ducharme inspire
J’ai vu beaucoup de spectacles autour de ses textes. Pièces ou adaptations. Ha ! Ha !, À quelle heure on meurt?, Ines Pérèe et Inat Tendu, La fille de Christophe Colomb, Le marquis qui perdit, L’hiver de force, Le Cid maghané, L’océantume. Chaque fois c’était réussi. Pourquoi? Je risque une réponse. Parce que Ducharme inspire. Il incite le metteur en scène à sortir des sentiers battus. À se dépasser. Il invite les comédiens et les comédiennes à s’investir dans une parole unique. Hors norme. Révolutionnaire. Celle de «notre» Ducharme. Dont nous sommes si fiers.
Ducharme est atypique. Il est un de nos écrivains québécois les plus singuliers. Un de nos dramaturges les plus novateurs. Je laisse les spécialistes commenter l’apport littéraire de ce géant des lettres, que je situe quelque part entre Louis-Ferdinand Céline, Émile Ajar, Boris Vian, Raymond Queneau, le clown Sol et Pauline Harvey. Mais je peux parler longtemps du dramaturge Réjean Ducharme. J’aime ses textes parce qu’ils sont d’une audace fulgurante. Ils font confiance aux mots. D’une manière presque aveugle. Au-delà de tout. Ils proposent des univers qui sortent des lois habituelles du théâtre. Ses phrases sont uniques. Elles jouent avec les mots. Elles les font se rencontrer comme pour la première fois. Elles les propulsent en pleine liberté. Elles les font danser au-delà des personnages et des situations. Elles nous mènent quelque part qui ne ressemble à rien.
Et nous, spectateurs, on aime ça. Parce qu’on ne décroche pas. Jamais. Ducharme invente. Démesurément. Mais il pense à nous. Jamais il ne nous abandonne. Avec Réjean Ducharme, on s’écarte joyeusement, mais on n’est jamais perdus. Alors on le suit. Jusqu’en des endroits inimaginables. Hyperréalistes, oniriques, crus, fantaisistes, tragiques… vivifiants. Et quand le spectacle est terminé. On rentre chez soi. Enchantés. Oui. C’est peut-être le bon mot. Réjean Ducharme, en défiant cette sorte de réalisme un peu mièvre qui enferme nos vies, nous invite au coeur de ses mots fous et nous enchante. Merci, Réjean Ducharme ! Et ce n’est pas fini. C’est ça qui est formidable avec les écrivains. Ils ne meurent pas. Tu n’es pas mort, Réjean. Tes oeuvres sont éternelles. Elles vont nous faire rêver encore longtemps. Tant mieux. Nous en avons tellement besoin.