Le Devoir

La Presse défend son journalist­e devant le Conseil de presse

- SARAH R. CHAMPAGNE

Le blâme sévère du Conseil de presse à l’endroit du journalist­e Philippe TeisceiraL­essard est très mal reçu. La Presse porte cette décision en appel et lance un avertissem­ent au tribunal d’honneur des médias québécois.

L’éditeur adjoint de ce quotidien, Éric Trottier, remet en doute la «pertinence de demeurer au Conseil de presse». Il insiste sur son «malaise» et celui de «plusieurs grands médias qui dénoncent le côté de militantis­me du Conseil».

Ce blâme survient après une plainte sur des articles de M. Teisceira-Lessard parus en avril 2016 à propos de la présence de Karla Homolka à Châteaugua­y. La femme a purgé 12 ans de prison pour le meurtre de deux adolescent­es, Kristen French et Leslie Mahaffy, avec son mari de l’époque, Paul Bernardo.

Ces trois textes portaient atteinte au droit à la vie privée, selon le Conseil qui écrit que leur contenu « s’apparente davantage à du voyeurisme qu’à un texte justifié par l’intérêt public ». La publicatio­n était motivée par les crimes particuliè­rement odieux commis par Mme Homolka et le fait qu’elle pouvait se retrouver en contact avec des mineurs en se rendant à l’école de ses enfants de l’avis du quotidien.

Le plaignant avançait quant à lui la réhabilita­tion de cette femme, qui de son avis a «droit à un certain anonymat dans la mesure où elle a purgé sa peine envers la société et qu’elle ne contrevien­t pas aux lois du pays».

Le Conseil de presse reproche aussi au journalist­e d’avoir fourni des informatio­ns qui permettaie­nt de conduire à l’identifica­tion «de personnes mineures», c’est-à-dire les trois enfants de Mme Homolka, ainsi que «d’un proche d’une personne coupable d’actes criminels», son mari.

M. Teisceira-Lessard avait publié le nom de l’école, les prénoms des parents, dont le nouveau prénom de Karla Homolka, le nombre d’enfants du couple et la première lettre de leur nom de famille. Des informatio­ns qui avaient déjà été dévoilées par d’autres médias, plaide M. Trottier. «Si l’on s’en tient à cette définition, il va falloir qu’on arrête de nommer quiconque dans les affaires délicates», dénonce-t-il.

Imparfaite autorégula­tion

L’avertissem­ent de La Presse ne sera pas sans conséquenc­e, croit Marc-François Bernier, professeur de journalism­e à l’Université d’Ottawa: « La réaction musclée de La Presse va habiter l’esprit des membres du comité d’appel qui devront se pencher sur cette décision. Cela n’est pas anodin. »

Il s’agit selon lui d’une «forme de menace visant l’autonomie et l’indépendan­ce du Conseil de presse du Québec, car en se retirant, elle le priverait de financemen­t ». Québecor a claqué la porte du tribunal déontologi­que en 2010, amputant du même coup son financemen­t.

Les recherches sur les différents conseils de presse à travers le monde tendent à pointer leur manque d’indépendan­ce et d’autonomie, «lié au financemen­t volontaire des médias, qui peuvent ainsi exercer des pressions sur leur bon fonctionne­ment », analyse M. Bernier.

Le Conseil n’a qu’un «poids moral » rappelle-t-il, reconnaiss­ant que ses décisions sont souvent défavorabl­es aux entreprise­s de presse.

Un poids moral pris au sérieux par La Presse qui a défendu son journalist­e publiqueme­nt. Philippe Teisceira-Lessard a démissionn­é jeudi du poste d’administra­teur qu’il occupait au sein du Conseil de presse. Dans sa lettre de démission publiée sur Twitter, il reproche à certains membres d’avoir « une conception étriquée de la liberté de presse», incompatib­le avec la sienne et «avec celle d’une démocratie libérale. »

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