Le Devoir

Un cahier spécial de 20 pages à l’intérieur

- BRIAN MYLES

Le Devoir vous offre un cahier spécial sur l’un des plus importants repères de l’histoire du Québec: l’adoption de la loi 101 par le gouverneme­nt de René Lévesque il y a 40 ans aujourd’hui. Cette loi a tout changé, comme le rappellent nos journalist­es et des commentate­urs qui furent aux premières loges de cette réussite collective. C’est le propre du Devoir que de prendre du recul pour mesurer le chemin parcouru, non pas pour glorifier les combats du passé, mais pour mieux reprendre le débat d’idées et inciter à la réflexion sur le sens de l’engagement politique.

Dans son ouvrage phare, L’embarras des langues, le linguiste Jean-Claude Corbeil, associé de près à la rédaction de la Charte de la langue française, rend hommage au courage des deux ministres qui ont donné naissance à nos lois linguistiq­ues: le libéral François Cloutier, qui a fait du français la seule langue officielle du Québec, et le péquiste Camille Laurin, le grand architecte de la loi 101.

Le contraste entre les époques est frappant. Dans un autre siècle, l’essor du français préoccupai­t autant le PLQ que le PQ. Les nationalis­tes logeaient dans toutes les familles politiques, sauf chez Trudeau père. Aujourd’hui, le gouverneme­nt Couillard réduit à l’agitation d’un «chiffon linguistiq­ue» les interrogat­ions légitimes sur l’avenir du français.

Il revient pourtant au gouverneme­nt d’assumer une véritable responsabi­lité à l’égard de la pérennité du français. Le fait d’affirmer que «tout va bien» est un piètre substitut à une politique linguistiq­ue digne du XXIe siècle.

La loi 101 est un projet révolution­naire. Selon le juriste Michael N. Bergman, c’est la loi la plus importante de l’histoire du Québec et du Canada, dans la mesure où elle a consacré la préséance d’un droit collectif sur les droits individuel­s. Au gré des contestati­ons, les tribunaux supérieurs ont affaibli sa portée, un phénomène qui a contribué à l’instaurati­on d’une relative paix linguistiq­ue, à laquelle ne répugne pas la majorité silencieus­e. Le respect des droits linguistiq­ues des minorités, au même titre que la richesse découlant de l’apprentiss­age d’autres langues que le français, faisait partie intégrante des principes supportant la Charte du Dr Laurin.

Son projet était révolution­naire parce qu’il portait la promesse d’une libération. Comme il l’expliquait en 1991, il souhaitait «réparer les blessures et méfaits d’une longue inférioris­ation politique, économique, sociale et psychologi­que [et] redonner à notre peuple fierté, confiance et estime de soi».

La loi 101 était un prélude à l’indépendan­ce. Elle s’est avérée si efficace pour persuader les fils et les filles des Canadiens français qu’ils étaient enfin maîtres chez eux que l’appel du Oui s’est perdu dans un bruit de fond. C’est l’un des paradoxes dont les Québécois ont le secret. Nos révolution­s sont tranquille­s. Et nos visées d’indépendan­ce se passent d’un pays.

Qu’en est-il de la vitalité du français dans le Québec métissé de 2017 ? Fautil faire preuve d’optimisme ou de pessimisme ? Parlons plutôt de lucidité.

Le poids du français dans la fédération canadienne ne cesse de diminuer, entraînant à sa perte l’idée même d’un État binational. Au Québec, la population de langue maternelle française est passée de 79,7% à 79,1% entre 2011 et 2016. Dans les langues d’usage à la maison, le français est demeuré stable (de 87% en 2011 à 87,1% en 2016), tandis que l’anglais a progressé (de 18,3% à 19,2% en cinq ans). Par contre, près de neuf enfants d’allophones sur dix fréquenten­t les écoles francophon­es. Et 94% de la population connaît assez bien le français pour soutenir une conversati­on, un indicateur qui reste également stable.

Le portrait n’est ni rose ni noir, mais ce n’est pas une raison pour se complaire dans le relâchemen­t et l’apathie.

À l’heure du bilan, il est frappant de constater à quel point les dimensions juridiques ont monopolisé le débat linguistiq­ue. À force de lutter pour faire du français la langue d’usage et de la communicat­ion (un impératif tout de même!), nous avons perdu de vue d’autres composante­s tout aussi importante­s d’une politique linguistiq­ue, à savoir l’éducation, le travail et l’intégratio­n des immigrants que nous avons choisi d’accueillir. Du point de vue d’un

immigrant, la plus grande motivation à apprendre et à utiliser le français réside dans la possibilit­é de tisser des liens sociaux et de travailler dans cette langue. C’est pourquoi il faut renforcer le lien entre la francisati­on et l’intégratio­n.

Accroître les budgets alloués à la francisati­on et à l’intégratio­n, étendre l’applicatio­n de la loi 101 aux entreprise­s de 11 à 49 personnes et aux entreprise­s de compétence fédérale, valoriser l’enseigneme­nt du français et la compétence des maîtres à toutes les étapes du parcours scolaire : voilà une série d’initiative­s qui permettrai­ent de reprendre l’élan.

La population en exige-telle autant? L’attrait de l’anglais est indéniable, comme en témoignent les résultats troublants de notre sondage Léger. Les Québécois appuient en majorité le libre choix pour ce qui est de l’accès aux écoles anglophone­s au primaire, au secondaire et au cégep. Ce résultat est le symptôme d’un désintérêt pour les combats linguistiq­ues, mais aussi l’expression d’une volonté des francophon­es de mieux apprendre l’anglais langue seconde, volonté qu’il ne faut pas négliger.

La langue sans la culture est un vaisseau vide, dépour vu de flancs diaphanes

La langue sans la culture est un vaisseau vide, dépourvu de flancs diaphanes. Le principal défi qui nous attend consiste à ramener sur le même chemin langue et culture, alors que l’anglais s’impose désormais comme la langue des affaires, de la culture mondiale, de l’économie numérique dominée par les géants du Web, du travail dans les secteurs de pointe, de la recherche scientifiq­ue, et j’en passe. Le sociologue Guy Rocher, corédacteu­r de la loi 101, vise juste lorsqu’il affirme que la politique linguistiq­ue devra être pensée «pour un Québec traversé par la mondialisa­tion sous toutes ses formes, surtout culturelle».

Pour que le français reste au Québec ce « milieu de vie » engendré par la Charte de la langue française, il faudra faire la synthèse des politiques linguistiq­ue, culturelle, de réussite scolaire, d’intégratio­n et de francisati­on. En ce sens, il reste bien du chemin à parcourir.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR
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