Le choix de l’éphémère pour habiter durablement une ville
L’urbanisme transitoire est désormais inscrit au Plan d’action en patrimoine de la Ville de Montréal
Il y a d’un côté les «éphémères» et de l’autre, les fantômes urbains, les occupations temporaires d’espaces vacants et ces bâtiments désaffectés dégradés dans leur solitude. Des hôpitaux de la montagne à ces carrés en friche dans chaque quartier, en passant par des commerces vides sur les grandes artères, Montréal ne compte plus attendre les grandes idées salvatrices ni le portefeuille le plus épais pour prendre en charge les « trous noirs » de son territoire.
Cette idée qui semblait encore marginale «d’urbanisme transitoire» a rapidement fait son chemin des groupes citoyens vers l’arène politique. La Ville de Montréal vient de formaliser sa volonté de chasser ces fantômes en inscrivant les deux petits mots à son Plan d’action en patrimoine, un plan officiellement adopté par le conseil municipal mardi dernier.
L’adoption par les élus a ainsi consacré la création d’un Observatoire du patrimoine, qui inclut un laboratoire transitoire « pour faire une place à ces pratiques émergentes».
L’urbanisme transitoire se place à l’intersection de la conservation du patrimoine, du renouveau urbain ou de la requalification, du «droit à la ville», de la réappropriation citoyenne.
Bref, bien des mots en vogue pour résumer une logique simple et implacable : lieux sans occupants cherchent occupants sans lieu, pour une journée ou quelques années.
La Ville reconnaît ainsi par la même occasion «qu’occuper est la meilleure façon de prévenir la dégradation », indique Manon Gauthier, la conseillère responsable du patrimoine au comité exécutif. Les «leviers» pour inciter à ces usages temporaires de certains lieux et dissuader les propriétaires négligents doivent encore être décidés.
«Toutes les hypothèses sont sur la table, affirme Mme Gauthier. La question fiscale et réglementaire est dans les priorités sur lesquelles on va se pencher.»
Montréal pourrait par exemple choisir de distribuer des amendes plus salées aux propriétaires qui laissent des bâtiments ou des terrains à l’abandon. Les amendes reliées actuellement aux inspections sont jugées insuffisantes, admet la conseillère. Ou encore créer des permis d’occupation temporaire pour faciliter les initiatives, à l’instar des baux d’intérim qui existent déjà dans d’autres villes.
En accéléré vers le transitoire
La volonté de diminuer le taux d’inoccupation des bâtiments patrimoniaux d’ici cinq ans a aussi été inscrite dans la Stratégie centre-ville.
Tous ces voyants municipaux au vert sont très encourageants pour le jeune organisme à but non lucratif Entremise, qui fait partie des partenaires de la Ville dans ce laboratoire transitoire. «Si les règles du jeu incitent à délaisser les bâtiments, il faut changer les règles du jeu», affirmait au Devoir il y a un an l’un de ses cofondateurs, Jonathan Lapalme.
Montréal faisait déjà sa part pour ré-enchanter des terrains délaissés, ou plutôt tolérait ce genre d’initiatives qui s’inscrivent dans les zones grises entre l’événementiel et l’installation à moyen terme. Dans les balbutiements de ce nouveau monde «transitoire», il y eut le Champ des possibles, cet espace en friche en bordure du chemin de fer du Canadien Pacifique dans le Mile-End. Sous la pression des citoyens et après des années d’aménagement informel, le site est devenu la propriété de la Ville en 2009.
Un autre exemple phare, et précurseur, reste la Fonderie Darling, aujourd’hui lieu d’arts visuels, arrachée à la reconversion postindustrielle par l’organisme Quartier Éphémère.
L’exemple actuel le plus cité est probablement le Village au Pied-du-Courant. Le parc ludique en bordure du fleuve propose des concerts et des activités gratuites, en plus d’accueillir un bar et des traiteurs (en camion ou pas) sur son site.
Il semble que les conditions soient maintenant réunies pour passer du «pièce par pièce» à une «mise à l’échelle dans tous les quartiers», affirme M. Lapalme, confiant.
Plus récemment, la gestion des arrivées accélérées de demandeurs d’asile a également ouvert la porte à cette créativité, notamment à l’hôpital Royal Victoria, qui sert de centre d’hébergement temporaire.
Cette fois, c’est l’urgence de la situation qui a forcé à utiliser ce mastodonte de pierres de 100 000 mètres carrés vidé au profit du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) en 2015.
Pourquoi ne pas avoir déjà eu cette réflexion sur l’usage transitoire? L’Université McGill doit déposer prochainement une étude de faisabilité, réalisée pour 8 millions de dollars, pour ses projets d’expansion sur la majorité du site du Royal Victoria. « Même si le projet fonctionne, le bâtiment sera encore vacant plusieurs années, le temps que le projet démarre», fait remarquer M. Lapalme.
« Est-ce qu’on attend qu’un seul joueur propose un grand plan de réaménagement permanent qui va impliquer des centaines de millions, voire plus, ou est-ce qu’on rend l’espace disponible à des gens qui en ont besoin?» poursuit-il. L’avenir des grands ensembles, ou du moins leur santé architecturale, pourrait en dépendre, ditil, citant comme contre-exemple l’ancienne ambassade des États-Unis, laissée vacante depuis près de 20 ans à Ottawa. Il pense aussi à la brasserie Molson, dont la compagnie a annoncé le déménagement en juillet dernier.
Laboratoire
«Tester des scénarios» permet en outre d’inviter une plus grande diversité d’acteurs à «participer à la ville», d’où le concept de ce «droit à la ville», notamment mis en avant par le pendant français d’Entremise, Plateau Urbain. Sur un site de 3,4 hectares, l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul a logé environ 75 organisations culturelles et communautaires, en plus d’offrir 300 places en logement d’urgence.
Une occupation transitoire qui a permis d’éviter le syndrome du «pas dans ma cour», note Jonathan Lapalme. «L’aspect temporaire et la mixité des usages ont contribué à l’acceptabilité sociale des logements d’urgence dans un quartier très bourgeois de Paris. »
Le projet ne devait durer que quelques années, le temps que Paris concrétise l’installation d’un écoquartier. L’initiative, baptisée «Les Grands Voisins», a été un tel succès que plusieurs des expérimentations seront finalement intégrées à l’écoquartier.
L’aspect transitoire pourrait cependant s’avérer une source de déception, pour des groupes communautaires par exemple, en quête de locaux abordables. «Une entente très claire dès le départ sur un nombre x d’années permet de faire en sorte que tout le monde connaisse le contexte», rétorque le jeune Montréalais.
L’urbanisme transitoire permettra aussi «d’améliorer les chances de trouver des usages durables», et ainsi de pérenniser les meilleures idées de ce laboratoire à venir.
Répertoire bientôt public
Entremise répertorie environ 900 immeubles vacants à Montréal, dont environ 120 patrimoniaux. Pour l’heure, seulement deux arrondissements sur 19 publient une liste, par ailleurs non exhaustive, des bâtiments et des terrains vacants. Héritage Montréal a également créé une plateforme où le patrimoine menacé est indiqué. Enfin, l’organisme Lande concentre son attention sur les terrains vacants, dans une carte interactive.
Une compilation de tous les arrondissements existe déjà, assure la conseillère Manon Gauthier. Mais la Ville souhaite la détailler et «déterminer le mode de partage de ces informations », précise-t-elle.
Le répertoire ne sera pas strictement basé sur la « vacance », mais également sur d’autres facteurs de vulnérabilité, comme le manque d’entretien.
Il ne s’agit donc pas d’utiliser uniquement des bâtiments publics ou patrimoniaux, mais bien n’importe quel bâtiment ou espace vacant, privé ou commercial, précise Mme Gauthier.
Le Conseil jeunesse de Montréal rend public son avis sur cette question mardi prochain, avis déjà déposé auprès du Conseil municipal. Un projet-pilote dans un bâtiment municipal doit également être annoncé.