Le Devoir

Julien Tourreille sur la stratégie de Trump en Afghanista­n

- JULIEN TOURREILLE

Si le président Trump n’aura probableme­nt pas d’avenue à son nom, il a au moins déjà une impasse: l’Afghanista­n. Au terme d’un processus laborieux, il a annoncé lundi soir son intention d’y augmenter le nombre de soldats américains déployés. Environ 4000 soldats devraient s’ajouter aux quelque 8400 déjà présents. La guerre la plus longue de l’histoire des États-Unis (elle fêtera ses 16 ans en octobre) n’est ainsi pas près de s’achever. Pire, en inscrivant sa «stratégie» dans la continuité de celles de ses prédécesse­urs, Trump ne se donne aucune chance de succès.

L’absence de rupture stratégiqu­e

En 2008, le président du comité des chefs d’état-major, l’amiral Mike Mullen, soulignait que la force brute ne permettrai­t pas à elle seule de remporter la victoire en Afghanista­n. Depuis près d’une décennie, la stratégie des États-Unis en Afghanista­n est ainsi relativeme­nt simple. D’une part, les forces américaine­s et celles de l’OTAN aident le régime de Kaboul, notamment en formant ses forces de sécurité, à conserver un contrôle minimal du territoire. D’autre part, le recours à la force contre les talibans doit convaincre ces derniers qu’ils ne seront plus en mesure de reprendre le pouvoir qu’ils avaient conquis dans les années 1990 et les inciter à prendre part à des négociatio­ns.

Le « sursaut » décidé par Obama en 2009, qui se traduisit par le déploiemen­t de quelque 100 000 soldats américains sur le théâtre afghan, échoua à réaliser cet objectif. Le plan annoncé lundi soir par Donald Trump connaîtra le même sort. En effet, malgré une aide conséquent­e de la communauté internatio­nale, le gouverneme­nt afghan demeure largement incompéten­t, incapable de fournir des biens publics de base à la population, et est gangrené par la corruption. À l’exception de troupes d’élite qui représente­nt à peine 17 000 des 300 000 membres des forces de sécurité, celles-ci sont largement inopérante­s. Elles ne disposent par exemple toujours pas d’une composante aérienne.

Devant ce gouverneme­nt inefficace, les talibans jouissent actuelleme­nt d’une position de force. Depuis deux ans, ils ont réalisé des gains territoria­ux importants, contrôlant, selon les données mêmes des autorités de Kaboul, plus du tiers du pays. Un ancien général représenta­nt le président Ghani dans la province d’Helmand estime même qu’ils contrôlent 60 % du territoire.

Ce qui est plus significat­if, les talibans sont devenus des adversaire­s plus coriaces qu’ils ne l’étaient en 2002. Le réseau Haqqani, connu pour avoir perpétré la plupart des attaques les plus meurtrière­s à Kaboul, occupe les fonctions les plus importante­s au sein du mouvement. De plus, l’émergence du groupe État islamique en Afghanista­n semble inciter les talibans à une escalade de la violence. Le dernier chef taliban ouvert aux négociatio­ns de paix, le mollah Akhtar Muhammad Mansour, ayant été éliminé par un drone américain en mai 2016, la perspectiv­e d’une solution politique négociée à la guerre en Afghanista­n est pratiqueme­nt inexistant­e.

Une population américaine amnésique

Depuis 2001, plus de 2400 soldats américains ont été tués en Afghanista­n, plus de 20 000 y ont été blessés. Cette guerre a coûté plus de 1000 milliards de dollars aux États-Unis. Étant donné les coûts colossaux de l’aventure afghane, l’absence de perspectiv­e de succès et les controvers­es minant le président Trump, la population américaine lui accordera-t-elle une certaine marge de manoeuvre dans le dossier afghan? La réponse est: probableme­nt.

Certes, d’après des données de l’institut Gallup, 4 Américains sur 10 estiment depuis 2011 que l’interventi­on en Afghanista­n fut une erreur. Pour autant, cette guerre est largement absente du débat public aux États-Unis. Barack Obama la présentait en 2008-2009 comme une guerre « juste ». Elle est aujourd’hui la guerre oubliée. Elle fut ainsi totalement absente de la campagne électorale de 2016, n’étant le sujet d’aucun discours majeur des candidats et ne faisant pas l’objet de questions dans les débats entre Donald Trump et Hillary Clinton. L’Afghanista­n n’est décidément pas le Vietnam, ni même l’Irak.

S’abstenant de détailler son plan, notamment en n’annonçant pas le nombre de soldats qu’il entend déployer, le président Trump peut se targuer d’être rusé. En ne fixant pas de calendrier de retrait des troupes, il fait plaisir à ses généraux et aux officiels afghans qui considérai­ent une telle informatio­n comme avantagean­t les talibans. Il a néanmoins pris possession d’une guerre qu’il qualifiait d’inutile il ya à peine un an et qui le hantera, sans aucune perspectiv­e de succès, au moins jusqu’en 2020. Il est pourtant fort probable que la population américaine, largement amnésique, ne lui en tiendra pas rigueur s’il aspire à un second mandat à la Maison-Blanche.

La perspectiv­e d’une solution politique négociée à la guerre en Afghanista­n est pratiqueme­nt inexistant­e

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